Nicolas Béraud : "Le mobile est devenu le parfait compagnon du parieur"
Le site de jeux et paris en ligne Betclic est aujourd’hui l’un des leaders du secteur en France, avec plus de 30 % de parts de marché. Créée en 2005 à Londres, l’entreprise a pour ambition de réinventer l’expérience du pari sportif en ligne. Son fondateur et actuel CEO, Nicolas Béraud, répond aux questions d’Émile sur la stratégie de cette start-up devenue un acteur européen incontournable.
Propos recueillis par Maïna Marjany et Pierre Miller
Revenons quelques années en arrière, plus précisément au moment où vous fondez Betclic à Londres. Pourquoi avez-vous choisi de vous lancer dans l’aventure des paris en ligne ?
Betclic est né en 2005, mais l’aventure commence en réalité dès 2000 avec la création de Sport4Fun. Il s’agissait d’un site permettant aux amateurs de sport de faire leurs propres pronostics avant un match et les meilleurs pronostiqueurs pouvaient gagner des cadeaux. Nous étions au début de la bulle internet et le modèle économique était compliqué, car il y avait très peu de publicité, pas encore de mobile ou de paiement en ligne. Sport4Fun a toutefois été un succès et nous avons su attirer une forte audience.
Betclic a été la suite naturelle de ce premier site, au moment où la jurisprudence européenne évoluait et permettait à des opérateurs de jeux en ligne d’étendre leurs activités à l’ensemble du continent. Au début des années 2000, la Cour de justice de l’Union européenne a en effet considéré que si un État refuse de réguler le secteur du jeu en ligne, une entreprise possédant une licence dans un autre pays européen peut proposer cette activité dans le pays n’ayant pas légiféré. On a profité de cette évolution législative pour proposer une expérience différente du pari en ligne. À l’époque, les sites de paris sportifs étaient extrêmement complexes avec des pages contenant essentiellement des chiffres et des cotes. Le positionnement de Betclic n’était pas le même ; je voulais un site accessible, permettant à n’importe quel amateur de sport de parier et de prolonger sa passion. Finalement, la création de Betclic m’a permis d’allier mes différentes passions : le sport, le jeu et les nouvelles technologies.
Vous nous expliquez donc que vos activités étaient légales du point de vue de la loi européenne. Pourtant, dans la presse française de l’époque, vous êtes qualifié d’acteur illégal…
La France considérait avant 2010 que des opérateurs comme Betclic, Bwin ou Unibet opéraient dans l’illégalité. Si notre activité était peut-être illégale aux yeux de la loi française, nous respections totalement la loi européenne. Or, cette dernière ayant préséance, nous opérions donc dans la légalité. En ce qui concerne Betclic, à raison, nous n’avons jamais été attaqués sur ce sujet.
Pourquoi avoir installé Betclic à Londres ?
Le contexte légal a milité en faveur de Londres puisque peu d’États possédaient une réglementation des jeux en ligne au moment de la nouvelle jurisprudence européenne. Le Royaume-Uni faisait partie des exceptions, car le pari sportif y est autorisé depuis plus d’un siècle. Cela nous permettait aussi de trouver des compétences déjà bien établies dans l’univers du pari sportif et la proximité avec la France était un plus pour nous.
Betclic a bénéficié d’un succès rapide et, au moment de l’ouverture officielle à la concurrence en 2010, vous possédiez déjà un socle d’un million de clients. Quelle a été la recette de votre succès ?
Nous avons dépassé les 40 % de parts de marché au moment de l’ouverture. Ce succès est lié à un ensemble de facteurs, dont le marketing et la simplicité d’usage. Betclic s’est toujours bien prêté au marché français, car il a été conçu pour les amateurs de sport. Le côté convivial a fait notre force, même s’il est certain que le fait d’avoir commencé à opérer – légalement – avant l’ouverture à la concurrence a été également un point important.
Pourquoi avez-vous choisi de quitter Betclic en 2011 avant d’y revenir, quelques années plus tard ?
J’ai quitté la société après six années de développement et l’ouverture de différents marchés dont la France, l’Italie et le Portugal. En 2011, je souhaitais me concentrer sur l’univers du jeu mobile, qui était alors en pleine expansion. Les actionnaires de Betclic m’ont recontacté cinq ans plus tard, car la société ne se portait plus très bien et perdait des parts de marché. Ils m’ont demandé si j’étais prêt à revenir pour les aider à relancer l’entreprise. J’ai relevé ce défi et je suis revenu aux commandes à la fin de l’année 2016.
Quelle était la situation de Betclic à votre retour ?
Le chiffre d’affaires était en baisse depuis cinq ans, tandis que le marché du pari sportif en ligne était en croissance. Betclic perdait des parts de marché. Alors que nous avions atteint plus de 40 % en 2011, nous étions à moins de 20 % fin 2016. Quand j’ai repris les rênes, j’ai découvert une société qui n’avait plus de stratégie claire et qui était encore concentrée sur le web alors que plus de 50 % de nos clients utilisaient déjà leur téléphone pour passer des paris. Les priorités et les compétences des équipes n’étaient pas tournées vers le mobile. Les notes et les commentaires de l’application étaient catastrophiques. Betclic avait oublié le client et n’avait pas vu le changement d’usage des joueurs.
La première priorité a été de réaliser la transition vers le mobile, qui est devenu le parfait compagnon du parieur. Il peut placer ses paris, regarder le match en parallèle et voir les cotes évoluer en temps réel. Début 2017, nous nous sommes donc lancé un défi : créer une nouvelle application de qualité pour le retour de la Ligue 1 au mois d’août. Le projet est devenu notre priorité et l’application est sortie pour le début du championnat. Le redressement de Betclic a alors commencé et nous proposions une expérience utilisateur adaptée au marché. Certes, il manquait encore des fonctionnalités, mais il y avait l’essentiel. L’application était simple, rapide et on pouvait parier sans difficultés. Aujourd’hui, nous sommes repassés au-dessus des 30 % de parts de marché et nous avons l’ambition de continuer. La stratégie est de mettre le client au centre et de lui donner la meilleure expérience utilisateur possible.
Les acteurs historiques comme la FDJ ou le PMU essaient de rattraper leur retard sur le digital. Vous sentez-vous menacés par leur montée en puissance ?
Les acteurs historiques monopolistiques étaient et sont toujours extrêmement puissants financièrement, avec leur marque et leur base de clients. C’était un sacré défi de réussir à exister face à eux en 2010. On peut et pouvait s’interroger sur des distorsions importantes de concurrence face aux opérateurs privés.
Les cas de la FDJ et du PMU sont toutefois très différents. Le PMU s’est intéressé pendant un moment aux paris en ligne et au poker puis, depuis quelques années, il s’est finalement recentré sur le pari hippique, son cœur de métier. En France, la législation autorise trois jeux d’argent en ligne : le pari sportif, le poker et le pari hippique. Betclic propose les trois, mais nous n’avons jamais réussi à décoller en pari hippique face à la puissance du PMU.
La FDJ est, quant à elle, une anomalie ! Cet ancien monopole récemment privatisé possède d’importants moyens, notamment en termes de marketing, de marques, et de réseaux de points de vente impressionnants. Pour autant, l’entreprise n’est toujours pas dans le top 3 des applications de paris sportifs en ligne en France. Une telle situation est assez étonnante, mais je pense que cette anomalie va inexorablement s’atténuer.
Comment caractériseriez-vous le contexte réglementaire français ? Est-il trop restrictif ?
Le cadre législatif français est l’un des plus durs d’Europe. La réglementation est très restrictive, mais nous nous adaptons. Nous échangeons à ce sujet avec l’autorité de régulation [Autorité nationale des jeux, ANJ, NDLR] pour essayer de l’améliorer. Il y a des règles parfois trop lourdes, contre-productives ou trop complexes.
Il faut ajouter à cela un niveau de fiscalité ultra-élevé. Taxer fortement les sociétés de ce secteur est une habitude française. Sur le pari sportif, nous payons 54,9 % de taxes sur les revenus. Les autres pays d’Europe ont des taxes allant de 15 % à 25 %, ce qui crée d’ailleurs des problèmes de compétitivité avec nos concurrents européens. Nous respectons la réglementation, mais cela rend le marché d’autant plus compliqué.
Et quel est votre positionnement vis-à-vis des problématiques de jeu responsable ?
Personne ne doit se mettre en danger lorsqu’il joue. Betclic se concentre avant tout sur le divertissement et la passion du sport. La grande majorité de nos clients reste dans ce cadre, la moyenne mensuelle de dépenses est de quelques dizaines d’euros, mais il peut y avoir parfois des excès. Nous avons mis en place des contrôles dès le lancement de l’entreprise et, ensuite, dans le respect de la régulation depuis 2010 : un certain nombre d’outils sont mis en place pour protéger les joueurs vulnérables, comme des communications, des avertissements, des limites, et nous sommes capables, de manière proactive, d’identifier les joueurs ayant un comportement à risques, de les accompagner et éventuellement, parfois, de leur recommander de fermer leur compte voire de le fermer pour eux.
Le jeu responsable est un aspect très important de Betclic, c’est dans notre ADN et cette démarche s’inscrit dans une logique de pérennité. Il est nécessaire de s’améliorer constamment. Nous avons lancé un projet avec notre département data science visant à détecter les joueurs à problèmes le plus en amont possible grâce à des systèmes de machine learning. Nous pourrons ensuite les accompagner de manière adéquate. Notre ambition est de ne faire aucun revenu avec des joueurs vulnérables.
Les mineurs sont aussi un enjeu de santé publique. Quelles mesures les protègent ?
Il faut évidemment préserver cette population et l’empêcher d’avoir accès à nos services qui sont réservés aux plus de 18 ans. Nous avons ainsi un positionnement s’adressant spécifiquement aux adultes et nous faisons d’importants efforts au niveau du marketing de la marque.
La réglementation française a mis en place un cadre relativement dissuasif vis-à-vis des mineurs. Pour jouer en ligne, il faut créer un compte, avoir un IBAN, une carte de crédit, envoyer ses documents d’identité, etc. À moins d’agir avec la complicité de ses parents, un mineur peut difficilement jouer sur notre plateforme.
Le domaine sur lequel nous devons progresser en France est de bloquer l’accès aux mineurs aux produits de la FDJ et du PMU dans les points de vente, où les contrôles sont quasi inexistants. Une solution serait de mettre le même niveau de contrôle dans les points de vente que sur internet. Des solutions technologiques existent et permettraient de vérifier facilement l’âge et l’identité des acheteurs.
La loi vous force à vérifier l’âge et l’identité de vos utilisateurs. Cela vous permet-il de mieux connaître la sociologie de vos joueurs ?
Sans surprise, notre public est plutôt masculin. Le football est le premier sport parié et cela développe un biais. En ce qui concerne l’âge, il y a une tendance générationnelle : une grande partie des parieurs ont entre 18 et 30 ans. Ils regardent un match de foot avec des amis et placent de petits paris. Leur usage est récréatif, en prolongement de leur passion. Enfin, il y a de plus en plus une dimension mass market, avec des amateurs de sport s’essayant à des petits paris et ce, quel que soit l’âge.
Quel a été l’impact de la crise sanitaire sur vos activités ?
L’impact a été de plusieurs natures. Il y a d’abord eu un coup d’arrêt lorsque les événements sportifs du monde entier se sont arrêtés. D’ordinaire, nous proposons chaque jour des centaines voire des milliers d’événements. Avec l’arrêt du sport au printemps 2020, il y avait des jours entiers sans compétition. L’entreprise a donc souffert de mars à mai, moment à partir duquel les fédérations de sport ont mis en place des protocoles sanitaires autorisant la reprise des compétitions. Nous avons pu rouvrir les paris avec un calendrier assez condensé, puisqu’il y a eu la fin des championnats entre juin et juillet, la Champions League en août et un calendrier rempli à l’automne. La reprise a permis de compenser en partie les mois difficiles. En parallèle de la baisse, voire de l’arrêt, des paris sportifs, le poker a connu une forte croissance de mars à mai. Nous avons constaté que cela permettait à de nombreux joueurs de maintenir du lien social. Lorsque les restrictions de sortie ont été levées, l’activité s’est tassée de nouveau.
Après cette période difficile, quels sont vos projets à court et long terme ? Et quels sont vos pronostics pour le futur du marché des paris sportifs ?
L’ambition de Betclic est de réinventer le pari sportif. Ce dernier se déroule encore comme au début du XXe siècle chez un bookmaker anglais. À cette époque, le joueur remplissait une feuille de papier, inscrivait le match et sa mise. Le bookmaker validait ensuite le pari. De nos jours, le processus est le même, mais les étapes sont dématérialisées. Au sein de Betclic, nous avons des équipes dédiées à l’innovation et nous voulons créer des fonctionnalités permettant de rendre les matchs encore plus intenses.
Nous suivons également le développement de l’e-sport et avons forgé un partenariat avec l’équipe Apogee Gaming. Nous proposons des paris dans certains pays, notamment en Pologne. Pour le moment, la France n’autorise pas les paris sur l’e-sport ; la principale raison évoquée est l’absence de fédération. Nous avons hâte que ce marché ouvre, car les parieurs lui portent un véritable intérêt.
Autre sujet, le casino en ligne. Son interdiction actuelle en France est à contre-courant de la quasi-totalité des pays européens. Betclic opère sur ce secteur au Portugal et en Italie, par exemple. Le cas français est une anomalie et génère des difficultés. L’absence de frontières au sein du monde digital permet aux Français de jouer sur des sites illégaux avec des risques élevés d’addiction, mais aussi des problématiques associées au blanchiment d’argent et à la non-taxation. Aucun acteur ne sort gagnant de cette situation, ni l’État, par l’absence significative de taxes, ni le régulateur, qui ne peut jouer son rôle, ni les opérateurs basés en France et enfin, et surtout, ni les joueurs, qui s’exposent à des risques importants.