Des dojos aux bancs de Sciences Po
Depuis sa création, en 2007, le Certificat préparatoire pour sportifs de haut niveau de Sciences Po a accueilli près de 150 athlètes. Parmi eux, Mewen Ferey-Mondesir et Lucas Diallo, qui se sont rencontrés dans un club de judo. Le premier a créé son cabinet de conseil dédié aux acteurs de l’écosystème du sport tandis que le second prépare les Jeux olympiques de Tokyo. Des tatamis à l’amphi, les deux judokas nous racontent leur parcours et nous livrent le regard qu’ils portent sur une formation unique en France.
Par Emma Barrier, Maïna Marjany et Pierre Miller
Lucas Diallo, en route pour les J.O.
Comme de nombreux sportifs de haut niveau, Lucas, qui évolue dans la catégorie « moins de 73 kg », a commencé à s’entraîner très jeune, même s’il est venu au judo presque par hasard : « J’avais 7 ou 8 ans. À cette époque, on choisissait un peu le sport que le copain choisissait, pour moi ça a été le judo et j’ai bien accroché. » Il découvre la compétition et grimpe les échelons. À 13 ans, Lucas intègre les épreuves de haut niveau, tout en accordant une grande importance au volet académique. « Je suis parti en sport-études à Rennes pendant trois ans, puis au pôle France de Bordeaux à nouveau pendant trois ans. Je pouvais concilier les études et les entraînements quotidiens. »
Au moment du baccalauréat, Lucas est en pleine interrogation sur son avenir : « Je me demandais quelles études poursuivre, mais surtout quelles études pourraient être compatibles avec la contrainte des entraînements. En France, c’est très limité. » Il en discute avec Mewen Ferey-Mondesir, judoka de quelques années son aîné, qui évolue alors en équipe de France tout en étudiant à Sciences Po. Au regard de l’intérêt de Lucas pour les sujets d’actualité, de politique ou d’économie, Mewen lui conseille le Certificat préparatoire pour sportifs de haut niveau. Un défi à la hauteur des ambitions de l’athlète, qui souhaite viser toujours plus haut : « Sciences Po, c’est l’excellence, alors je me suis dit “pourquoi ne pas tenter ?” ».
N’hésitant pas à comparer les études supérieures à la préparation en vue d’une saison ou d’une compétition internationale, Lucas garde un souvenir très positif de cette formation. « On est considérés comme des sportifs faisant des études et non comme des étudiants faisant du sport. Tout est vraiment aménagé pour que l’on puisse avancer dans notre certificat et notre pratique de la meilleure façon. » Ces aménagements sont indispensables, car le judoka s’entraîne quatre heures par jour au minimum et il est régulièrement en déplacement.
Celui qui est parvenu à se qualifier pour les J.O. de Tokyo, sous les couleurs du Burkina Faso, le pays de son père, a vu ses projets bousculés par l’épidémie de Covid-19. Les confinements successifs ont compliqué les entraînements et de nombreuses compétitions ont été suspendues. Les Jeux ont été décalés à 2021 et le doute plane encore sur leur tenue. Comment ne pas se démotiver dans de telles conditions ? « Je me dis que ça va avoir lieu et je me prépare pour », nous assure Lucas. Y croire pour ne pas perdre le cap. Si les J.O. sont annulés, le jeune homme de 24 ans n’est pas certain de repartir pour ceux de 2024. Il souhaiterait en effet se consacrer à ses études. Son prochain défi est d’ailleurs d’être admis au sein du master Politiques publiques spécialité Sécurité et défense de la rue Saint-Guillaume. Sapeur-pompier volontaire depuis sa majorité, le jeune homme est passionné par ce secteur d’activité. « Si ma candidature est acceptée, je tenterai le double diplôme avec l’École de Saint-Cyr, pour faire une carrière militaire, ou bien je passerai les concours du ministère des Armées, de l’Intérieur ou des Affaires étrangères. » Une nouvelle étape ambitieuse, à son image.
Le conseil, nouveau sport de combat de Mewen Ferey-Mondesir
Souriant et avenant, Mewen Ferey-Mondesir est intarissable sur les sujets qui le passionnent. Lancez-le sur le judo ou sur Sciences Po, il aura mille choses à vous raconter. « J’ai aussi tendance à être hyperactif ! », nous confie-t-il. Quand il était enfant, pour qu’il puisse dépenser son énergie, ses parents l’inscrivent à deux activités sportives : le rugby et le judo. Mais à un moment, le rythme devient trop intense. Il faut choisir. Sa décision n’est pas vraiment motivée par la passion… « En fait, c’était l’hiver, alors j’ai opté pour un sport d’intérieur », nous avoue en riant le jeune homme de 27 ans. Un choix qui semble payant puisqu’il progresse rapidement, jusqu’à rejoindre l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance (Insep), où il intègre l’équipe de France dès ses 16 ans au sein de la catégorie Jeune, avant de combattre dans l’équipe Senior. Durant les huit années suivantes, il participe à des championnats d’Europe et du monde, dans lesquels il excelle. « J’ai plus accroché avec la victoire qu’avec le judo », confesse-t-il, avant d’ajouter : « J’adorais ça la confrontation, la compétition, la victoire et les podiums. » Mais à un moment, la nécessité de préparer l’avenir en continuant ses études se fait sentir.
Il découvre le Certificat préparatoire de Sciences Po grâce à un ami. Lors d’une journée portes ouvertes, c’est Jean-Claude Legal, le directeur de la formation, qui achève de le convaincre. Mewen postule et il est accepté. « On a cet esprit de “gagne” au judo et j’ai pu retrouver la même chose au niveau des études rue Saint-Guillaume. » Au-delà des connaissances qu’il acquiert, il apprécie l’ouverture d’esprit au sein de l’école : « En équipe de France, on est toujours entre sportifs. À Sciences Po, on découvre un autre monde, on rencontre d’autres types de personnes et de mentalités. » Quand il obtient son certificat, en 2017, il ne s’arrête pas en si bon chemin et postule au master Marketing et Société de l’École du management et de l’innovation. Il y développe son projet de cabinet de conseil, puis complète sa formation avec un diplôme universitaire en droit du sport, à Créteil. En créant le cabinet Ferey Sport Invest, en 2018, l’objectif de Mewen est de travailler avec divers acteurs de l’écosystème sportif.
« Je n’aime pas me cantonner à un seul domaine et réaliser tout le temps le même type de missions. Le conseil m’offre agilité et diversité », développe l’ancien athlète. C’est ainsi qu’il conjugue actions pour des collectivités locales qui veulent redéfinir leur politique sportive, missions de stratégie pour des équipementiers, d’accompagnement pour des fédérations sportives et des fonds d’investissement orientés sport ou encore gestion et représentation d’athlètes… Mewen s’occupe par exemple de sportifs d’élite en athlétisme : Yoann Miangue (ancien taekwondoïste qu’il a accompagné jusqu’au prestigieux programme de développement de la National Football League américaine) ou encore différents acteurs du sport en Afrique, dont la fédération burkinabè de judo et Lucas Diallo dans leur projet olympique. « Lucas, c’est un client un peu spécial, un client-ami », précise le jeune chef d’entreprise. Enfin, Mewen s’est également lancé dans la production de « sportcasts », des podcasts qui abordent différents aspects de l’écosystème du sport, de la géopolitique à l’e-sport, avec des invités tels que Pascal Boniface et Alexandre Marles. Cette reconversion réussie n’a pas pour autant éloigné l’ancien athlète des tatamis : « Je continue à pratiquer le judo », nous assure-t-il. Et la compétition sportive, ce n’est pas difficile de l’arrêter du jour au lendemain ? Il rit : « Ça me manque beaucoup ! Mais j’en trouve tout autant dans le milieu professionnel ! »
Ces portraits ont été initialement publiés dans le numéro 21 d’Émile, paru en avril 2021.