Sylvie Hubac : "Un proche collaborateur du président doit pouvoir lui dire des vérités"

Sylvie Hubac : "Un proche collaborateur du président doit pouvoir lui dire des vérités"

Conseiller politique, super-intendant de la maison Élysée, gestionnaire de l’agenda présidentiel et responsable des finances ; dans l’ombre, le directeur de cabinet du président de la République (en l’occurrence, une directrice) est la personne qui fait fonctionner la tentaculaire machine. À ce poste durant la première moitié du quinquennat de François Hollande, comme lui énarque de la bien connue promotion Voltaire, Sylvie Hubac nous raconte ces années mémorables, mais épuisantes, construites autour d’un mot d’ordre : être disponible 24 heures sur 24.

Propos recueillis par Camille Ibos et Maïna Marjany

Déjà à côté de lui sur leur photo de promotion (troisième rang à gauche), Sylvie Hubac fut directrice de cabinet de François Hollande à l’Élysée (Crédit : Agence Emce)

Déjà à côté de lui sur leur photo de promotion (troisième rang à gauche), Sylvie Hubac fut directrice de cabinet de François Hollande à l’Élysée (Crédit : Agence Emce)

Vous avez fait partie de la fameuse promotion Voltaire, au même titre que François Hollande et que son secrétaire général, Pierre-René Lemas. Pour recruter ses collaborateurs, un président de la République se tourne-t-il d’abord vers les bancs de son école ?

En réalité, c’est le secrétaire général de l’Élysée, Pierre-René Lemas, nouvellement nommé, qui m’a appelée pour me proposer de prendre la direction du cabinet. Pourquoi ce choix s’est-il porté sur moi ? Je n’en ai jamais vraiment su la raison. Comme vous le mentionnez, nous nous connaissions déjà, car nous nous étions rencontrés à l’ENA où nous avions noué des liens d’amitié et des affinités. Mais je pense que ce qui a également compté, bien qu’on n’en ait jamais parlé spécifiquement, c’est que le président cherchait à recruter une femme. Dans son équipe rapprochée, il n’y avait en effet que des hommes : le secrétaire général Pierre-René Lemas, ses deux adjoints et le conseiller diplomatique. On était loin de la parité…

Comment se passe un entretien de recrutement avec le président de la République ?

Tout se déroule dans une très grande urgence. Le président est élu un dimanche et la passation de pouvoir a lieu dans la semaine qui suit, ce n’est pas comme aux États-Unis où il y a une plage de transition de près de trois mois. Les délais sont donc extrêmement courts, d’autant plus que l’équipe doit être en place et opérationnelle le plus vite possible. Il ne s’agit donc pas d’un processus de recrutement classique, il n’y a pas de place pour une série d’entretiens. C’est un recrutement direct qui se fait sur un coup de téléphone et l’engagement doit être immédiat. Il faut donner une réponse dans la minute, voire dans la seconde. On ne peut pas dire « je vais réfléchir »… Ou alors, on n’y va pas !

Quelle a été la nature de votre relation avec François Hollande ? Cette fonction demande-t-elle une certaine proximité, voire une complicité avec le président ?

C’était avant tout une relation de complète confiance. Nous pouvions nous parler, nous dire les choses. Un collaborateur très proche du président de la République est quelqu’un qui doit être capable de lui dire des vérités. Je ne parlerais pas de complicité, plutôt de totale loyauté, de complet engagement à ses côtés, ce qui ne veut pas dire, bien sûr, servilité ou complaisance. Le dialogue doit être fluide, sans arrière-pensées, sincère : c’est une des conditions du bon exercice de cette fonction, dans laquelle la complicité n’a pas vraiment sa place.

« Travailler avec le président ne se fait pas comme un recrutement classique : il faut donner sa réponse dans la minute, voire dans la seconde. »

La direction de cabinet du président de la République est une fonction éminemment évolutive. Quel a été votre rôle ?

Le contenu du poste de directeur de cabinet est spécifique à chaque équipe présidentielle. Je ne pense pas avoir exercé les mêmes fonctions qu’Emmanuelle Mignon [directrice de cabinet de Nicolas Sarkozy, NDLR] ou qu’Anne-Marie Dupuy [celle de Georges Pompidou, NDLR]. Traditionnellement, le directeur de cabinet est en charge des questions de sécurité du président et des relations avec les autorités préfectorales ; mais comme je n’avais pas de background en la matière et que j’avais un directeur adjoint qui était préfet, cette compétence lui a plutôt été confiée. 

Pour définir mon rôle, je dirais que c’est celui d’un agent polyvalent aux responsabilités variées. J’étais en premier lieu conseillère du président en charge d’un certain nombre de politiques publiques, de matières et de ministères que je devais suivre tout particulièrement, à savoir les portefeuilles de la justice et des politiques publiques liées aux collectivités territoriales. Je conseillais et informais le président sur ces sujets, préparais ses arbitrages, suivais la confection des textes législatifs et leur cheminement parlementaire. J’ai notamment suivi la loi sur le mariage pour tous et la préparation de la loi NOTRe sur le redécoupage des régions. 

Auprès du président, j’avais également d’autres missions : je participais à la mise au point de son agenda, objet hautement sensible et politique, en lien avec son secrétariat particulier et le cabinet. Le directeur de cabinet prépare aussi l’ordre du jour du Conseil des ministres, qui est arrêté par l’Élysée. Tous les lundis après-midi, nous nous réunissions avec le secrétaire général du gouvernement et le secrétaire général de l’Élysée pour proposer l’ordre du jour et le faire valider par le président, ordre du jour qui comporte des textes de lois, d’ordonnances ou de décrets, mais aussi des décisions nominatives devant parfois faire l’objet d’arbitrages délicats…

J’avais également en charge la supervision de toutes les grandes cérémonies mémorielles, rituelles ou républicaines, telles qu’une entrée au Panthéon. Ces occasions demandaient beaucoup de travail rigoureux en amont. Je n’organisais pas, en revanche, les déplacements du président, c’est une fonction qui incombe au chef de cabinet ou aux conseillers du président pour des rendez-vous spécifiques. À ces missions s’ajoutait celle de l’animation du cabinet qui doit faire équipe autour du président ; il fallait veiller à la bonne entente, gérer les problèmes de la vie collective, les « petits bobos », les arrivées et les départs.

Salon doré © Présidence de la République - Adagp, Paris, 2021.jpeg

« Ce n’est pas facile de décider qui sera le plus près ou le plus loin du président, qui aura la soupente ou le bureau doré. »

Crédit : Présidence de la République

Étiez-vous également en charge de l’intendance du Palais ?

La gestion de la « maison Élysée » est un autre aspect important de la fonction. Le Palais compte au total plus de 800 collaborateurs, civils et militaires dont près de 200 affectés uniquement au courrier ! L’Élysée est aussi un grand hôtel, qui accueille constamment du monde et doit savoir recevoir ses visiteurs. Il faut organiser tout cela, veiller au bon déroulement des choses, parfois recruter ou ré-attribuer des tâches. Le directeur de cabinet est le responsable de cette gestion interne. Il exerce ainsi une tâche d’intendant qui comporte des responsabilités budgétaires – le budget de l’Élysée, c’est plus de 100 millions d’euros par an –, responsabilité exercée sous l’œil scrutateur des rapporteurs du Parlement et de la Cour des comptes, à un moment où le président souhaitait réaliser des économies. Nous les avons d’ailleurs réalisées plus vite que prévu !

Comment s’articulait votre mission par rapport à celle du secrétaire général de l’Élysée ? Vous ne débordiez pas, parfois, sur les plates-bandes de l’autre ?

Je n’ai pas le souvenir de difficultés par rapport à cela. Le secrétaire général est vraiment le numéro un du Palais et le premier collaborateur du président. Il dirige l’ensemble de l’équipe politique et a une vision véritablement panoramique, ayant sous son autorité tous les chefs de pôles. Il a également des domaines réservés, comme celui de la défense, partagé avec le chef d’état-major. Le secrétaire général est davantage au cœur de l’appareil gouvernemental que le directeur de cabinet. Il est régulièrement en contact avec les membres du gouvernement. Il assiste au Conseil des ministres, il connaît toutes les affaires, il a un rôle de tour de contrôle à 360 degrés.

Parmi toutes les fonctions que vous nous avez précédemment citées, étiez-vous aussi en première ligne lorsqu’une polémique éclatait autour du président ?

Cela dépendait des circonstances. Je connaissais bien le président, de sorte que j’étais bien sûr à ses côtés, conjointement avec le secrétaire général, dans ces moments de questionnement où l’on peut être bousculé, parfois violemment, par l’actualité. Ce n’était cependant pas à moi de répondre à la presse, mais au président ou à son conseiller en communication. Il est très important que la parole présidentielle soit portée de manière unique, sans dissonance. Ainsi, ni le secrétaire général ni les membres du cabinet n’ont vocation à s’exprimer dans la presse, même si sous toutes les présidences on a pu retrouver dans les médias des expressions telles que « de source sûre », « un proche du dossier » ou « dans l’entourage du président ».

« Quand on est directeur de cabinet, on doit être disponible 24 heures sur 24, les nuits et les week-ends »

Vous avez été la troisième femme à occuper ce poste et celle qui a exercé cette fonction le plus longtemps. Quand on évolue dans un milieu où les postes à responsabilités sont encore bien souvent exercés par des hommes, est-il nécessaire de s’imposer encore plus ou de faire d’autant plus de sacrifices ?

Cela fait maintenant 40 ans que je travaille dans la sphère de l’État. J’ai vécu la conquête de la place des femmes à chaque étape de ma carrière, si bien que quand je suis arrivée à l’Élysée, je n’ai pas eu le sentiment que ce serait plus ou moins difficile qu’avant. Comme ça avait été le cas dans chacun des postes que j’ai exercés, il a fallu faire preuve de compétence et de professionnalisme et surtout avoir confiance en soi, ce qui n’est pas toujours aisé pour les femmes ! Mais rétrospectivement, je n’ai pas eu l’impression, à l’Élysée, d’avoir eu davantage à démontrer mes compétences que mes collègues masculins. Ce fut néanmoins une période très intense durant laquelle je savais devoir faire une croix sur ma vie personnelle. Quand on est directeur de cabinet, on doit être disponible 24 heures sur 24, les nuits et les week-ends. Cela fait partie de l’ADN du job. D’ailleurs, quand on a 30 secondes pour répondre « oui » à une proposition au téléphone, on sait très bien qu’on s’engage dans un tunnel… sans savoir dans quel état on va en ressortir !

Est-ce pour cela que vous avez quitté l’Élysée à mi-mandat ?

Dès le début du quinquennat, j’ai voulu me laisser la possibilité, à mi-parcours, de faire autre chose. Il n’a jamais été prévu que je reste l’intégralité du quinquennat. Quand ce poste m’a été proposé, cela faisait déjà quelques semaines que je me disais que si la gauche repassait et que, du fait de mon engagement politique régulier depuis ma jeunesse, on me contactait, je n’étais pas sûre de pouvoir aller au bout. J’avais déjà fait du cabinet et c’est une vie éreintante. À mi-parcours, je suis donc retournée au Conseil d’État. Je ne le regrette pas, je trouve même que pour le président et son équipe, c’est une bonne chose d’avoir cette respiration, que des regards renouvelés soient apportés par des collaborateurs venus de l’extérieur.

Avant l’Élysée, vous avez exercé une grande diversité de fonctions, notamment dans le domaine culturel. Ces expériences ont-elles eu une influence sur les politiques culturelles menées par François Hollande ?

Malheureusement, et c’est quelque chose que je regrette, je n’ai jamais vraiment discuté des politiques culturelles avec François Hollande, car ce n’était pas dans mon portefeuille. En arrivant à l’Élysée, je m’étais donné une règle – que je demandais aux autres collaborateurs de respecter – qui était de ne pas marcher sur les plates-bandes des autres. Je me suis simplement occupée des relations avec quelques artistes. Je ne voulais pas utiliser ma fonction pour faire valoir, auprès du président, des vues qui n’étaient pas celles des personnes ayant ce secteur en charge. Je me suis mise volontairement très en retrait, bien que ce soient des questions qui me passionnent ! Je n’aurais peut-être pas dû. Sur le plan culturel, nous aurions pu mieux faire ; la culture n’a pas été une priorité du quinquennat, c’est dommage.

Passation de pouvoir - Cyclotron - CC BY SA.jpg

« Sur le plan culturel, nous aurions pu mieux faire ; la culture n’a pas été une priorité du quinquennat, c’est dommage. »

Au-delà de ces regrets, quels furent pour vous les journées les plus mémorables de vos années à l’Élysée ?

J’en ai vécu beaucoup ! Un des beaux moments, qui nous a apporté beaucoup de joie, a été la commémoration du 6 juin 1944, en 2014. Pour ce cinquantenaire de la victoire sur l’obscurité et la barbarie, la France était l’hôte du monde. 

De manière moins positive, mais tout aussi mémorable, ma journée d’entrée en fonction m’a laissé des souvenirs forts. Ce jour-là, je suis allée à l’Élysée à pied, personne ne connaissait mon identité et mes fonctions, j’ai eu du mal à franchir les barrages de police ! Le secrétaire général, Pierre-René Lemas, et moi-même sommes arrivés au sein d’une maison vide, sans ordinateurs dans les bureaux, par exemple, comme c’est le cas lors d’un changement de président et sûrement davantage dans celui d’une alternance politique. Mais surtout, dans une maison que nous ne connaissions pas. S’est alors présenté le directeur des services administratifs, le seul à connaître le fonctionnement de l’Élysée et qui a assuré la transition. En l’espace d’une journée, nous avons dû prendre la mesure des lieux, définir la répartition des bureaux – ce n’est pas facile, car il faut décider qui sera le plus près ou le plus loin du président, qui aura la soupente ou les dorures ! –, mettre en place le système informatique et organiser la première réunion d’un cabinet encore incomplet pour se mettre au travail au plus vite. Je me souviens, dans la même journée, d’être allée porter, dans un parapheur que je tenais serré contre moi, le décret de nomination de Jean-Marc Ayrault au président de la République, qui était alors à l’Hôtel de ville et qui l’a signé debout, entre deux discours. Cette signature ouvrait la voie à la formation du premier gouvernement du quinquennat.

Et finalement, le moment le plus dur ?

Je suis partie toute fin 2014, avant les attentats de janvier 2015, qui ont dû faire partie des plus terribles journées vécues par les équipes présidentielles. Pour ma part, je n’ai pas le souvenir de moments particulièrement difficiles, à part peut-être ceux où le président a vécu des problèmes personnels. Comme il en était affecté, ces soucis nous touchaient nécessairement.



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