Azala : l'ambition d'une industrie de la mode durable et respectueuse de l'environnement
Fondée en juin 2022 par deux jeunes Sciences Po, la marque de vêtement Azala place le respect de l’environnement au centre de ses préoccupations. En se lançant dans la mode durable, ses fondateurs ambitionnent de montrer la voie et d’ainsi participer à la refonte du modèle de production de l’industrie textile.
Propos recueillis par Maïna Marjany et Driss Rejichi
Vous êtes respectivement étudiante du master joint Droit et finance et tout jeune diplômé (promo 22) de Sciences Po. Qu’est-ce qui vous a amené à vous lancer dans l’entrepreneuriat aussi rapidement ?
Sofiane Bouhali : Assez étonnamment, Clara et moi avions un ressenti très différent sur cette question. Pour ma part, devenir entrepreneur était un objectif bien ancré, et même si j’ai considéré la possibilité de travailler quelques années en entreprise, après un an et demi de stage (entre ma césure et mon stage de fin d’études), je savais que j’avais besoin de me lancer sans attendre encore trois ou cinq ans.
Clara Savelli : En ce qui me concerne, devenir entrepreneure était une idée plus lointaine que je n’avais pas considérée à court-terme. C’est le projet qui m’a séduite ! Et je me suis vraiment lancée par passion pour la thématique de la mode durable et le concept Azala qui se trouve (à mon sens) en parfaite adéquation avec les enjeux des prochaines décennies.
Quelle est la genèse de votre projet ? Quand avez-vous officiellement lancé Azala ?
S.B. : L’idée d’Azala vient de ma mère Chabina, qui est d’ailleurs associée au projet. Elle travaille dans le textile depuis 25 ans et, depuis quelques années, avec l’aide de ma tante, elle cherche à concevoir des méthodes de recyclage pour l’industrie du textile.
Au milieu de mon stage de fin d’études, ma mère m’a appelé pour m’expliquer que son atelier à Madagascar avait élaboré un processus de transformation des déchets textiles en un matelassage 100% recyclé. Elle me suggère de partir de ce procédé pour développer un projet. À ce moment-là, je réfléchissais à une idée d’entreprise dans le secteur de l’éducation mais, emballé par ce nouveau projet, je décide de me lancer à condition de trouver un ou une associée pour le faire avec moi…
C.S. : Avec Sofiane, nous nous connaissions déjà avant Azala, sans pour autant être des amis proches. Un dimanche midi, en mai 2022, nous nous sommes retrouvés à un barbecue organisé par une amie commune. Je n’avais aucune idée du projet sur lequel il était en train de travailler lorsque j’ai commencé à lui parler de mon envie, à terme, de rejoindre le secteur de la mode durable, tandis que je réalisais à ce moment-là une césure en finance. Après avoir fini d’expliquer mon projet, Sofiane m’a parlé d’Azala et m’a proposé d’en discuter plus en détail. À l’issue de quelques rendez-vous, j’étais emballée et, en juin 2022, nous avons décidé de nous associer pour créer Azala.
Votre projet entrepreneurial est basé sur la fabrication de vêtements en upcycling. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette notion ?
C.S. : L’upcycling est une idée toute simple qui vise à recycler des matériaux textiles non-utilisés (ou en fin de vie) pour fabriquer de nouveaux vêtements. La logique est la suivante : nous fabriquons beaucoup plus de vêtements que ce dont nous avons besoin et nous sous-utilisons les matières premières nécessaires à la fabrication. Quelques chiffres permettent de rationnaliser ce concept : en amont de la chaine de valeur, près de 20% des tissus sont jetés avant d’avoir été utilisés (du fait d’une sous-optimisation industrielle) ; en aval de la chaine de valeur, près de 60% des vêtements fabriqués ne sont jamais portés. Il y a un travail d’optimisation énorme à faire avec un impact potentiel immense sur le bilan écologique de l’industrie de la mode.
S.B. : À long-terme, Azala a pour objectif de multiplier les initiatives permettant de mieux optimiser l’utilisation des matières premières et de maximiser l’usage des vêtements en offrant des solutions concrètes aussi bien aux industriels qu’aux consommateurs. Notre marque de vêtements est une preuve qu’il est possible de produire de manière réellement plus écologique, avec une parfaite traçabilité sur la provenance et la fabrication. À moyen-terme, nous essayons de construire un cycle parfaitement circulaire : de la fabrication, à la vente, à la revente et au recyclage des vêtements.
Pourquoi est-il aujourd’hui impératif que la mode engage une transformation à grande échelle. Comment souhaitez-vous y contribuer ?
C.S. : La mode est la deuxième industrie la plus polluante au monde en produisant près de 8% des émissions global de gaz à effet de serre (2016). Il n’y aura pas de transition écologique sans un renouvellement en profondeur de cette industrie. Par ailleurs, à la différence d’autres industries, de nombreuses solutions existent à travers le recyclage, l’agriculture biologique, les circuits courts, les fibres végétales, etc. Il faut donc se saisir de cet avantage pour faire évoluer les méthodes globales de fabrication et de consommation.
S.B. : Au-delà de l’aspect écologique, qui est essentiel, l’industrie (de manière globale) est en grande partie responsable des grands drames humains de notre temps. Qu’il s’agisse de l’exploitation des populations dans certaines zones géographiques ou des conditions de travail insalubres ou dangereuses, je pense que c’est notre devoir à tous de ne plus accepter de participer à une économie funeste.
Pour l’instant, vos vêtements sont fabriqués dans un atelier à Madagascar. Comment et pourquoi vous êtes-vous orientés vers ce pays ?
S.B. : Ce projet n’existerait pas si ce n’était pas, en partie, pour Madagascar. Je suis Franco-malgache et j’ai passé les 18 premières années de ma vie à Madagascar, et d’une certaine manière, j’ai toujours voulu participer au développement de mon pays.
L’aspect socialement responsable que nous évoquions est étroitement lié à Madagascar. À notre humble mesure, nous essayons de soutenir un emploi stable et de qualité dans le pays et de favoriser l’émergence et le développement de projets sociaux et environnementaux qui sont indispensables à la survie de Madagascar. Nous travaillons ainsi avec des associations et des entreprises locales, notamment sur le reboisement de la mangrove malgache, véritable piège à CO2, ou sur l’insertion professionnelle de femmes issues de zones défavorisées.
C.S. : Ce qu’il est important d’avoir en tête également, c’est que cela fait sens du point de vue écologique. Le transport final d’un vêtement entre son dernier lieu de fabrication et le consommateur représente seulement 2 à 4% de son bilan carbone. Pour le reste, la matière première, la fabrication, les allers-retours entre les différentes étapes de confection (récolte, tissage, filage... souvent réalisés dans des pays différents) et l’usage des vêtements concentrent l’immense majorité de l’impact environnemental.
Nous avons cherché à travailler en profondeur sur ces leviers en n’utilisant aucune matière neuve dans la fabrication de nos produits et en concentrant toutes les étapes de confection à Antananarivo. D’autre part, Madagascar a d’immenses atouts, en dehors des multiples savoir-faire, l’ensoleillement du pays nous permet d’alimenter notre atelier avec une énergie solaire ultra-régulière et de qualité.
Vous débutez ce projet par la production de gilets pour enfants dans un premier temps. Quels sont vos objectifs de production et de croissance pour l’avenir ?
C.S. : En effet, ça faisait sens pour nous de commencer par un gilet matelassé qui exploite parfaitement notre technologie de recyclage des déchets textiles. Nous avons choisi de nous positionner en premier lieu sur l’enfant pour plusieurs raisons : nous avons constaté qu’il existait très peu de marques responsables sur ce marché et nous avions le savoir-faire adéquat dans notre atelier. Nous avons lancé nos premiers modèles de vestes et gilets pour enfants en novembre et nous avons déjà sorti un premier modèle pour adulte avec le même concept. Dans les prochains mois, notre objectif est de se diversifier sur d’autres segments et d’autres produits. On prépare actuellement une collection adulte et une collection bébé qui devraient voir le jour en mars.
S.B. : En parallèle, nous travaillons sur d’autres projets. Nous préparons (à horizon un an) la sortie d’une place de marché qui permettra de revendre ou de donner ses vêtements une fois qu’ils ne seront plus utilisés. Nous travaillons également sur un projet de plateforme de média-conseil dédiée à la transformation industrielle. Enfin, nous réfléchissons (à plus long-terme) à l’idée de construire un second atelier en France qui sera entièrement dédié au recyclage des vêtements utilisés.
En termes de ventes, nous nous sommes fixé des objectifs ambitieux à horizon 18 mois. Pour le moment, notre mission est de faire connaitre Azala et d’expliquer notre projet à un maximum de personnes !