Carnets de campagne 2022 : Christophe Bay, le haut fonctionnaire dans l’ombre de Marine Le Pen
Immersion au sein de la campagne présidentielle. Émile vous emmène à la rencontre d’élèves et d’anciens de Sciences Po – jeunes militants, conseillers politiques ou élus de la République – engagés aux côtés des candidats à l’Élysée.
Par Louis Chahuneau et Laure Sabatier
« Je ne fais pas de militantisme, je ne suis même pas encarté au RN. » Voix posée, visage carré et regard ferme, Christophe Bay, le directeur de campagne de Marine Le Pen, a une conception bien à lui de l’engagement politique. Cet ancien fonctionnaire, grand amateur des Mémoires du Prince de Talleyrand, endosse le rôle du technicien loyal dans une campagne marquée par de nombreuses défections au sein du Rassemblement national (Nicolas Bay, Jean Messiha, etc.)
Fils d’un ingénieur et d’une mère au foyer peu politisés, Christophe Bay découvre la fonction publique à travers sa grand-mère, attachée de préfecture à Chartres. Il entre à Sciences Po (promo 84) et retient de ces années « la découverte d’une grande richesse intellectuelle ». Il y découvre aussi la « joute verbale » et l’esprit syndical au sein de l’Union des étudiants de droite, « un groupe de copains de toutes les droites qui voulait défendre la spécificité de Sciences Po dans le paysage universitaire ». Des rumeurs circulent sur la proximité, à cette époque, de Christophe Bay avec le Groupe union défense (GUD), ancien groupuscule d’extrême droite connu pour sa violence et historiquement proche du Rassemblement national. Il les dément et affirme que son engagement n’était alors pas politique, mais syndical.
« Je suis entré à l’ENA en 1988 pour intégrer le corps préfectoral. C’est pour moi l’expression la plus aboutie du service de proximité pour nos concitoyens. » Christophe Bay entame son parcours comme directeur de cabinet du préfet du Morbihan, puis de Haute-Normandie, avant d’entrer au ministère de l’Intérieur comme conseiller technique de Jean-Pierre Chevènement, en 2000. À partir de 2005, Christophe Bay intègre la petite équipe qui prépare la mise sur pied du ministère de l’Immigration, où il sera nommé directeur de l’accueil et de l’intégration : « Je me suis rendu compte de l’échec des procédures d’intégration et de la nécessité d’être plus exigeants pour les personnes que nous accueillons. »
S’il retourne par la suite en préfecture, il garde de ce passage à l’éphémère ministère de l’Immigration la conviction « qu’il faut changer de logiciel politique, qu’on ne peut plus continuer comme ça ». Est-ce ce constat ou le fait d’avoir été démis de ses fonctions, en 2016 (à la suite de deux enquêtes administratives révélées par Le Monde, qui l’épinglent pour usage excessif de l’argent public) qui le pousse à s’orienter vers la politique partisane ? Regard fixé sur l’écran noir de son téléphone portable, Christophe Bay refuse de répondre.
Il préfère renchérir sur son engagement auprès de Marine Le Pen, qu’il date officiellement à juillet 2021, même s’il aurait déjà distillé ses conseils lors de la campagne de 2016. Il rencontre la candidate frontiste à travers Les Horaces, un collectif de hauts fonctionnaires qui la conseillent dans la discrétion : « Je trouvais que Marine Le Pen était en situation d’inégalité, qu’elle n’avait pas les mêmes atouts en termes de connaissance sur l’administration, j’ai donc voulu lui apporter des contributions intellectuelles. » Il la conseille sur l’immigration et la sécurité, avant d’endosser des plus larges responsabilités, lors de la campagne pour 2022.
« Être directeur de campagne, c’est être la tour de contrôle », explique-t-il. Il gère les déplacements de la candidate, élabore son programme et désamorce les crises en coulisses. Sur le plan des idées, Christophe Bay se risque à peine à évoquer les « outrances d’Éric Zemmour », avant d’affirmer que le volet « jeunesse » du programme de Marine Le Pen a sa préférence. Il cite notamment l’exonération de l’impôt sur le revenu pour les moins de 30 ans, la création d’un bac professionnel de la police et la construction de logements étudiants supplémentaires. Et pour la suite ? L’ancien haut fonctionnaire l’assure, « je n’ai jamais fait de plan de carrière, j’irai où la présidente voudra que j’aille ! ».
Cet article a initialement été publié dans le numéro 24 d’Émile, paru en mars 2022.