La gauche modérée a-t-elle un avenir ?

La gauche modérée a-t-elle un avenir ?

Après le mauvais feuilleton du Congrès du Parti socialiste, entaché par des soupçons de triche, la gauche sociale-démocrate est au plus bas. L’aile droite du PS, qui refuse de se fondre dans la Nupes, et l’aile gauche de la majorité, peu à l’aise avec certaines orientations de l’exécutif, influent peu dans les dynamiques politiques du moment. Divisée et fragilisée, cette gauche modérée a-t-elle encore un espace ? Enquête.

Par Ismaël El Bou-Cottereau

Campagne de François Hollande à l'élection présidentielle de 2012, à Bordeaux, le 19 avril 2012. (Crédits : FreeProd33/Shutterstock)

Cette fois, c’en est trop. Barbara Pompili, membre du groupe Renaissance à l’Assemblée Nationale, a décidé de sortir du rang. Elle ne votera pas la réforme des retraites « en l’état » – réforme qui était pourtant présente dans le programme présidentiel sur lequel elle a été élue députée de la Somme. L’ancienne ministre de l’Environnement, issue de la gauche, commençait déjà, depuis la rentrée parlementaire, à faire entendre sa petite musique au sein de la majorité. En octobre, elle critiquait l’absence de signaux de gauche envoyés par le gouvernement. En novembre, sur le plateau de 28 minutes, elle mettait un point d’honneur à être présentée comme députée En commun – du nom du parti de centre-gauche qu’elle préside – et non Renaissance. « C’est important » , insistait-t-elle, face au journaliste Renaud Dély qui ne souhaitait pas « entrer dans les arcanes de la majorité ».

Une aile gauche macroniste atone et un PS en état de mort cérébrale 

Difficile, en effet, d’y voir clair dans l’aile gauche de la Macronie, émiettée en différentes chapelles indépendantes (En commun, Demains, le Collectif des sociaux-démocrates réformateurs, la Fédération Progressiste) ou fondues dans le parti présidentiel, à l’image de Territoires de Progrès, présidé par le ministre du Travail Olivier Dussopt. « Cela n’est lisible que pour les avertis », admet  Stella Dupont, députée En Commun du Maine-et-Loire, dans un café près du Palais Bourbon. Contrairement à de nombreux transfuges socialistes passés chez Macron qui, pudiquement, disent qu’ils viennent de la gauche, Stella Dupont, ancienne élue PS débauchée par En Marche aux législatives de 2017, assume être « une femme de gauche attachée aux problématiques sociales et écologistes. » S’il lui arrive d’être parfois « en colère et en désaccord », elle tente, depuis 2017, d’imprimer une marque plus sociale dans les orientations gouvernementales. « Si on avait conduit une politique uniquement libérale, des gens comme moi ne seraient plus dans ce collectif, explique-t-elle. Le portage politique des valeurs plus humanistes et sociales est moins fort que le portage politique libéral dans la majorité ; c’est dommage car on a fait de belles choses sur le Ségur de la santé, l’éducation, la lutte contre la pauvreté… À En Commun, on tente de peser. C’est vrai qu'on est tout petits, mais ça vaut le coup de continuer. » Le poids de cette sensibilité politique peut être questionné. En juin dernier, Stella Dupont s’est présentée pour prendre la tête du groupe Renaissance. Elle n’a récolté que onze voix. C’est Aurore Bergé, ancienne LR, qui a été élue.  

« Le portage politique des valeurs plus humanistes et sociales est moins fort que le portage politique libéral dans la majorité ; c’est dommage car on a fait de belles choses… À En Commun, on tente de peser. »
— Stella Dupont

Malgré cette marginalisation, Stella Dupont assure pourtant vouloir peser dans la majorité grâce à la création d’une « amicale sociale » d'une trentaine de députés. Mais cette initiative timide semble ne pas être complètement assumée: « Cela n’a pas d’existence revendiquée. On n’est pas en bataille avec le drapeau, le poing et la rose en étendard. » Alors que les membres de l’aile droite, menée par les ministres Gérald Darmanin et Bruno Le Maire, n’hésitent pas à prendre de la place, l’aile gauche paraît timorée, tétanisée. Territoires de Progrès a réussi à se diviser sur l’association avec Renaissance ; En Commun, qui ressemble plus à une micro association qu’à un parti, est snobé par la majorité. Ses dirigeants sont peu présents dans les médias. Leur texte d’orientation politique, adopté le 21 novembre 2022, a juste été partagé sur Facebook à coup de captures d’écran floues. Cette absence de rapport de force, c’est justement ce qui a poussé Philippe Hardouin à quitter, en novembre dernier, la présidence d’En Commun et à rompre clairement avec la majorité. « La politique d’Emmanuel Macron tend de plus en plus à absorber l’électorat de droite, regrette-t-il. C’est une politique qui est favorable aux rentiers. Je ne vois pas comment ceux qui se disent de gauche et qui restent dans la majorité peuvent continuer à faire de telles circonvolutions idéologiques sur la question des retraites et de l’assurance chômage. Ils ne sont plus crédibles. »

« La politique d’Emmanuel Macron tend de plus en plus à absorber l’électorat de droite. »
— Philippe Hardouin

Cette faiblesse politique et cet écartèlement idéologique, on les retrouve aussi chez les socialistes. Depuis le score lilliputien – 1,7% – d’Anne Hidalgo au premier tour de la présidentielle, le PS s’est plus fait remarquer pour ses clips de communication ratés et les accusations de tricheries entre les prétendants au poste de premier secrétaire que sur le fond. Les débats du congrès entre Hélène Geoffroy, Nicolas Meyer-Rossignol et Olivier Faure, ont davantage porté sur des questions stratégiques – rompre avec la Nupes, y rester pour garder des sièges tout en la critiquant, ou la renforcer – que sur les grandes propositions du parti. Comme l’écrit la journaliste Astrid de Villaines dans Les sept péchés capitaux de la gauche (JC Lattès, 2022), « les éléphants se sont transformés en paresseux » .

Ce manque de travail est, à l’exception du clan d’Olivier Faure, unanimement dénoncé. « Depuis cinq ans, ils n’ont pas bossé », lâche, cinglant, Gaspard Gantzer au téléphone. L’ancien conseiller de François Hollande, qui n’est plus membre du PS depuis 2017, a voté pour Yannick Jadot en 2022. « C’est bien de s’opposer à la politique d’Emmanuel Macron. Encore faut-il offrir une perspective. Je fais une différence entre le parti et les élus. Nos parlementaires ont beaucoup travaillé, mais leurs propositions, comme la création d’un crime d’écocide, n’ont pas eu beaucoup d’audience. Le parti n’a pas suffisamment joué son rôle de courroie de transmission », dénonce Baptiste Ménard, adjoint au maire de Mons-en-Baroeul et soutien d’Hélène Geoffroy, défaite dès le premier tour du Congrès. Ce jeune élu, président du think-thank Lueurs Républicaines, est persuadé qu’il existe un espace pour une gauche de gouvernement critique d’Emmanuel Macron qui refuse, dans le même temps, l’inféodation aux insoumis de Jean-Luc Mélenchon. « Entre un macronisme de droite et une gauche radicale, beaucoup d’électeurs de gauche se sentent oubliés, minorés », dit-il à Émile

Un espace politique compromis et un corpus idéologique encore flou

Il y a cinq ans, plus d’un électeur de François Hollande sur deux a voté pour Emmanuel Macron dès le premier tour. Lors de la dernière présidentielle, les sympathisants du Parti Socialiste ont plus voté pour Jean-Luc Mélenchon (33 %) et Emmanuel Macron (29 %) que pour Anne Hidalgo, qui ne récolte qu'à peine 20 % de cette frange électorale, selon un sondage d’Ipsos-Sopra Steria. « En 2022, on observe qu’il y a toujours dans l’électorat du Président de la République des personnes qui ont voté pour François Hollande en 2012, observe le politologue et directeur de Cevipof Martial Foucault. Mais l’on assiste à une forme de conversion idéologique. Ces gens se disaient clairement de gauche en 2012 ; ils disent maintenant qu’ils appartiennent au centre ou au centre-gauche. Ces électeurs se sont convertis à une idéologie d’un candidat du centre, qui renvoie à l’idée d'un parti de gouvernement. » Une partie non négligeable de l’électorat du Parti socialiste aurait donc fait un coming out libéral sur les questions économiques.

« La social-démocratie qui accepte l’économie de marché, elle est en grande partie chez Emmanuel Macron, résume la cheffe du service politique du Huffington Post Astrid de Villaines. Il a pris des mesures que la gauche pourrait applaudir : PMA, dédoublement des classes dans les REP [Réseau d’Éducation Prioritaire], reste à charge 0 sur les soins dentaires et auditifs, le “quoi qu’il en coûte”… C’est difficile d’incarner quelque chose à la gauche de Macron avec des gens comme Bernard Cazeneuve, Stéphane Le Foll, Carole Delga ou François Hollande. Beaucoup sont cramés politiquement. La social-démocratie est un terme abîmé et peu porteur dans l’opinion. Pour peser, il faudrait adopter un positionnement plus radical. »

« La social-démocratie qui accepte l’économie de marché, elle est chez Emmanuel Macron. »
— Astrid de Villaines

Ces représentants d’une gauche anti-Nupes et anti-Macron se contentent, pour l’instant, d’écrire des tribunes, de donner des interviews dans la presse pour « reconstruire » la social-démocratie, en usant jusqu’à la corde de la même rhétorique que celle d’Anne Hidalgo pendant la campagne. Parmi ces quelques rares défenseurs du quinquennat de François Hollande, les ambitions s’aiguisent et se dessinent.

Le maire du Mans, Stéphane Le Foll, étrille Olivier Faure de plateaux en plateaux et souhaite rebaptiser le PS « Les Socialistes ». La présidente de la région Occitanie, Carole Delga, commence à consulter, au café de Flore, le strauss-kahnien Stéphane Fouks pour structurer une gauche populaire.* Enfin, l’ancien Premier ministre Bernard Cazeneuve assure au JDD qu’il ne se dérobera pas face à ses responsabilités en 2027.

Mais que propose cette « gauche de gouvernement » pour les Français ? Gaspard Gantzer brosse quelques pistes de réflexions, encore à l’état d'ébauche, sur « le financement des services publics, une plus grande taxation du capital, la réduction de la consommation énergétique et la sécurité. » Baptiste Ménard évoque un corpus idéologique structuré autour de « la laïcité, de l’éducation et de l’avenir de la planète », sans plus de précisions. 

La perspective de l’après Macron

S’il est difficile pour cette sensibilité politique de s’imposer aujourd’hui, certains croient à la libération d’un espace politique si le parti présidentiel s’ancre définitivement au centre-droit. « Il est évident que la programmation actuelle nous conduit à un Gérald Darmanin ou un Edouard Philippe comme candidat. Dès lors, notre espace politique, situé entre LFI et la droite centriste, se libère », soutient Philippe Hardouin. « C’est un schéma intéressant, abonde Martial Foucault. Edouard Philippe est libéral sur les questions économiques et plutôt conservateur sur les sujets de société. Aurait-il été capable de porter la PMA pour les couples de femmes par exemple ? On voit donc bien qu’un espace est possible pour une sociale-démocratie à la fois libérale sur le plan économique et culturel. » 

« L’écologie sera le point de bascule pour attirer un électorat de gauche et plus jeune. »
— Martial Foucault

D’autres, comme Astrid de Villaines, sont plus circonspects : « J’ai entendu cette hypothèse à plusieurs reprises dans les couloirs du pouvoir. Mais je doute qu’une aile droite du PS et qu’une aile gauche de Renaissance puissent se retrouver. L’avenir, à gauche, se jouera sûrement avec quelqu’un de l’extérieur qui mettra l’écologie au cœur de son ADN. Pour l’instant, j’ai du mal à voir qui pourrait incarner cela. Je ne l’entends pas chez un Bernard Cazeneuve par exemple. » Depuis la mort de Rémi Fraisse en 2014, à Sivens, l’image de l’ancien ministre de l’Intérieur est abîmée chez les écologistes. En outre, l’environnement n’a jamais fait partie de ses priorités politiques. Selon Martial Foucault, c’est pourtant bien ce sujet qui « sera le point de bascule pour attirer un électorat de gauche et plus jeune. Il s’agit d’intégrer l’écologie non pas comme une politique publique, mais bien comme un système politique. »

Pour l’instant, cet espace et cette incarnation sont encore de l’ordre de la politique fiction. « Je suis un orphelin de la gauche de gouvernement » , dit Philippe Hardouin, amer. Il risque de l’être encore pour  longtemps. 

* Selon les informations du journaliste Olivier Pérou dans Autopsie du cadavre (Fayard)



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