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Royaume-Uni : "La décision de Charles III est en rupture totale avec le passé"

Ce lundi 11 mars, à l'occasion de la Journée du Commonwealth, le roi Charles III a enregistré un message vidéo dans lequel il s'engage à "continuer à servir, au mieux de (ses) capacités". Un discours qui se veut rassurant un peu plus d’un mois après l’annonce de son cancer. Cette transparence sur l’état de santé du souverain a surpris, rompant avec l’habituel silence de Buckingham. Qu’est-ce que cela dit du style de gouvernance du roi Charles ? D’un point de vue institutionnel, quelles peuvent être les conséquences de sa maladie ? Entretien avec Adelaïde de Clermont-Tonnerre, écrivaine et directrice de la rédaction du magazine Point de vue, fine connaisseuse de la monarchie britannique. 

Propos recueillis par Olivier Marty, Président du Cercle franco-britannique de Sciences Po Alumni

Le roi Charles III sur le balcon du palais de Buckingham après le couronnement à l'abbaye de Westminster, le 6 mai 2023, à Londres. (Crédits : Muhammad Aamir Sumsum / Shutterstock)

Le roi Charles a été opéré d’une hypertrophie de la prostate à la fin du mois de janvier dernier. Quelques jours plus tard, le Palais informait qu’il souffrait d’un cancer. Que savons-nous exactement de l’état de santé du Roi d’Angleterre ?

Depuis l’annonce de son cancer, le palais n’a souhaité faire aucune communication, comme l’avait d’ailleurs indiqué son service de presse. Le roi a accepté de parler de son cancer pour inciter ses concitoyens à se faire dépister, pas pour tenir un bulletin de santé régulier. Le palais a d’ailleurs spécifiquement demandé aux médias de ne pas chercher à se renseigner par des moyens autres qu’officiels, ni à photographier le souverain dans ses déplacements pour se faire soigner puisque l’on sait qu’il n’est pas hospitalisé.

À l’heure actuelle, nous savons que son cancer est à un stade précoce, mais nous ne savons pas officiellement sa nature exacte, ni le traitement qu’il suit, ni les progrès de sa santé. En revanche, toute la « maison médicale royale » est à la manœuvre avec, évidemment, les meilleurs spécialistes du sujet, mais cela fait également l’objet d’une totale confidentialité. L’opinion publique respecte d’ailleurs très bien ce besoin du roi de se soigner loin des regards et de l’attention.

Le Roi a surpris en faisant la transparence sur sa maladie, rompant ainsi avec la pratique de sa mère et d’autres anciens monarques, qui ont pu préférer cacher des choses et ne pas avoir à s’en expliquer. Faut-il y voir une pratique moderne ?

Aussi personnelle soit-elle, la santé d’un chef d’État est souvent aussi un enjeu diplomatique. Un président américain doit ainsi régulièrement être déclaré apte à remplir ses fonctions par un médecin. Au Royaume-Uni en revanche, la santé du monarque est considérée comme privée : communiquer à ce sujet est un choix qui lui appartient. La décision de Charles III est effectivement en rupture totale avec le passé.

Lorsque la reine Élisabeth II était hospitalisée on le savait en général le lendemain et nous avons appris plus d’un an après sa mort qu’elle souffrait, dans ses derniers mois, d’un cancer de la moelle osseuse. La décision de Charles III est donc responsable et moderne, non seulement pour le Royaume Uni, mais pour les démocraties occidentales de façon générale. Ne serait-ce qu’en France, le cancer de François Mitterrand ou l’AVC de Jacques Chirac n’avaient pas du tout fait l’objet d’une telle transparence. Et si l’on remonte un peu plus loin, la maladie de Waldenström de Pompidou qui a causé sa mort deux ans avant la fin de son mandat a été entièrement dissimulée au public.

Si le Roi Charles III n’est pas placé en incapacité de régner, son retrait va conduire son épouse, son fils William et quelques membres de sa fratrie à prendre la relève. Va-t-on voir advenir la « monarchie resserrée » qu’il avait lui-même souhaité ?  

Les circonstances l’ont même resserrée bien plus qu’il ne le souhaitait ! Il lui manque déjà Harry et Meghan, sur lesquels Charles III comptait évidemment, compte tenu des brouilles qui ont tant fait parler. Il est aussi privé momentanément du soutien de Kate qui est avec son mari la personnalité la plus populaire de la famille. Son épouse, la reine Camilla, fait un sans-faute, mais elle a quand même 76 ans et ne pourra pas forcément soutenir le rythme. Son frère cadet, Edward, et l’épouse de ce dernier, Sophie, sont également des soutiens précieux comme sa sœur Anne, mais ils ne suffisent pas. Bref, le souverain manque de bras et va peut-être devoir aller en chercher chez ses neveux et nièces…

Quel bilan faites-vous du règne du Roi depuis son accession au trône en septembre 2022 ? Charles a-t-il réussi à pousser les idées qui lui étaient chères comme Prince, notamment celle de la préservation du climat ou des questions sociales ?

Paradoxalement, sa position de souverain est un frein à la diffusion de ses idées puisqu’il doit absolument respecter un droit de réserve. Il était plus libre en étant prince de Galles et il a effectivement été très pionnier sur ces questions. Il est, par exemple, le premier à prononcer un discours d’importance sur la pollution, particulièrement la pollution plastique dans les années… 1970 ! Sur la question de l’environnement, de l’insertion des jeunes dans la société, de l’ouverture aux autres religions, du vivre ensemble, il a très tôt proposé beaucoup d’idées qui sont aujourd’hui reconnues. Il est certain, néanmoins, que même dans sa position de souverain, par son influence, il va faire avancer ses sujets de prédilection mais de façon beaucoup plus discrète, par son travail institutionnel et ses conversations hebdomadaires avec le Premier ministre.

Charles semble incarner à la fois la tradition, un attachement aux rites et à la pompe de la monarchie, et la modernité, avec une pensée à certains égards progressiste et une conscience des exigences nouvelles de sa charge. Est-il un atout pour la Couronne ?

Charles est un grand atout pour la couronne, et un formidable professionnel. Cela fait tout de même des décennies qu’il agit et se prépare à ce rôle. C’est aussi un travailleur acharné qui se donne entièrement à sa mission. Entre 2013 et 2022, Charles III, alors prince de Galles, a effectué 4 854 engagements. Un bilan conséquent qui le positionne à la première place du classement des Windsor les plus "actifs", juste devant sa sœur cadette, la princesse Anne. Loin d'être en reste, cette dernière talonne de très près le souverain avec ses 4 693 engagements.

Ses concitoyens ne s’y trompent pas. Dans les derniers sondages, il est systématiquement au-dessus des 50 % de personnes satisfaites de son travail. Des scores que beaucoup de chefs d’État aimeraient pouvoir afficher...

 

Cette interview a été réalisée le 4 mars 2024.