La dissolution des élections européennes
La décision de dissoudre l’Assemblée nationale, prise par Emmanuel Macron le soir des élections européennes, a surpris citoyens et observateurs de la vie politique. Quels sont les précédents ? Est-ce un « risque » contrôlé ? Le politologue Pascal Perrineau nous livre son analyse.
Par Pascal Perrineau (promo 74)
Quelques minutes après l’annonce des estimations électorales prévoyant la victoire du Rassemblement national qui, avec 31,4 % des suffrages, a atteint un niveau plus de deux fois supérieur à celui enregistré par la liste de la majorité présidentielle (14,6 %), le président de la République est intervenu pour dire qu’il mettait en œuvre l’article 12 de la Constitution. Celui-ci lui donne le pouvoir, après consultation des présidents des assemblées, de prononcer la dissolution de l’Assemblée nationale entraînant, dans un délai d’au minimum 20 jours et au maximum 40 jours, la tenue de nouvelles élections législatives. Le délai le plus court a été choisi par le président, d’où une impression de précipitation…
Certains parlent d’un « effet Leonarda », se référant à l’affaire de l’expulsion d’une famille rom kosovare en octobre 2013 dans laquelle le président Hollande avait réagi trop vite en annulant l’expulsion pour une des filles de cette famille qui criait, avec toute une série d’associations, au scandale. Y a-t-il eu un « effet Bardella », ce dernier ayant haussé le ton pour réclamer une dissolution ? Il a été très – trop – rapidement entendu.
Rien n’obligeait le président à agir ainsi. Jamais un président de la République n’était intervenu un soir d’élections européennes, même lorsque les forces de la majorité en place avaient été défaites (européennes de 1999 pour l’UMP, européennes de 2014 pour le Parti socialiste). La dissolution, décidée pour la sixième fois sous la Ve République, avait jusqu’alors été utilisée pour harmoniser les majorités présidentielle et législative après une victoire présidentielle (1981 et 1988 pour François Mitterrand), pour donner la parole au peuple après une crise sociale et politique majeure (1968) ou pour répondre à une motion de censure victorieuse vis-à-vis du gouvernement en place (1962). Toutes ces dissolutions avaient abouti, à des degrés divers, à une victoire de la majorité présidentielle. Déjà, en 1997, l’usage de la dissolution avait évolué vers une dissolution d’opportunité : celle opérée par le président Jacques Chirac qui, en dépit d’une majorité législative favorable, avait cherché à renforcer celle-ci pour aboutir en fait au résultat parfaitement inverse : la victoire de l’opposition de gauche et la mise en place d’une longue cohabitation de cinq ans.
Cette fois-ci, le président est à la tête d’une majorité présidentielle très affaiblie. L’opposition du Rassemblement national est en constante et vive progression depuis des années et des mois. Emmanuel Macron prend donc un risque politique majeur dans la mesure où il est hautement improbable qu’il puisse prendre la tête d’un « front républicain » uni face au Rassemblement national. Les oppositions de droite et de gauche ne joueront pas le jeu et ne rendront pas ce service à Emmanuel Macron... L’hypothèse la plus probable est une victoire du Rassemblement national et une cohabitation, où un président replié sur son domaine réservé (diplomatie et défense) attendra un hypothétique délitement d’un RN peu accoutumé jusqu’alors aux rigueurs de la culture de gouvernement.
Mais une autre issue chaotique est possible : le RN et ses alliés ne sont pas assurés d’avoir une majorité absolue de sièges et ils peuvent se retrouver dans une situation où la nouvelle majorité législative sera largement impuissante, comme l’est le camp présidentiel aujourd’hui. Ajouter le chaos au chaos est-il une perspective raisonnable pour une France fragilisée, endettée et menacée ? N’oublions pas qu’aucune dissolution n’est possible dans l’année qui suit une dissolution. Le blocage est donc possible et, à ce moment-là, la crise de régime succédera à la crise politique.