Les livres politiques de septembre 2024

Les livres politiques de septembre 2024

La rentrée littéraire est, cette année, riche en publications politiques. Du réarmement démographique aux liens étroits entre les élites mexicaines et le trafic de drogue, en passant par les leçons du pouvoir de François Hollande et Jean-Michel Blanquer : la rédaction d’Émile vous propose de découvrir une dizaine d’ouvrages écrits par des Alumni.

Par Alexandre Thuet Balaguer et Lisa Dossou

La rentrée des politiques 

La Citadelle: Au cœur du gouvernement

Entre crises et réformes, Jean-Michel Blanquer revient sur ses cinq années à la tête du ministère de l'Éducation nationale. Il met en avant des réalisations clés, comme le dédoublement des classes de CP en zones prioritaires et la refonte du lycée et du baccalauréat, sans en oublier les moments difficiles, tels que le confinement pendant la pandémie de Covid et l'assassinat de Samuel Paty.

L’ancien ministre demeure amer face aux renoncements et aux compromis politiques qu'il a dû faire, critiquant la versatilité de certains membres du camp macroniste, qu'il décrit comme des technocrates dénués de vision. Partisan d'une ligne républicaine stricte, il assume son usage du terme « islamo-gauchisme » et sa fermeté sur des sujets comme le port du voile, des positions qui l’ont isolé, y compris au sein du gouvernement.

L'ouvrage est enfin un constat personnel sur l’exercice du pouvoir, où Jean-Michel Blanquer se livre avec une rare franchise, offrant une réflexion sans concession sur les coulisses de l’État et de son chef, Emmanuel Macron, solitaire et souvent en manque de cap.

L’auteur   

Ancien recteur, directeur général de l’ESSEC et ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer (promo 89) est professeur de droit public à l’université Paris II-Panthéon Assas et avocat. En parallèle, il préside le think-tank Laboratoire de la République qu’il a fondé en 2021.

Jean-Michel Blanquer, La Citadelle, Albin Michel, 416 pages, 21,90€


Le défi de gouverner : La gauche et le pouvoir de l’affaire Dreyfus jusqu’à nos jours 

Dans Le Défi de gouverner, François Hollande revisite l’histoire de la gauche française, de l’affaire Dreyfus à aujourd'hui, en posant une question centrale : la gauche peut-elle réellement gouverner ou est-elle condamnée à rester dans la contestation ? À travers les grandes étapes comme le Front populaire, les septennats de Mitterrand ou la gauche plurielle de Jospin, il défend l’idée que la gauche gagne quand elle choisit le réformisme plutôt que la radicalité.

L’ancien président souligne que les plus grandes avancées sociales – droit du travail, laïcité, protection sociale – sont issues de ce pragmatisme. Mais il ne se prive pas de critiquer la dérive actuelle d’une gauche éclatée, prise en étau entre la radicalité de Jean-Luc Mélenchon et le compromis du Parti socialiste, affaibli depuis la présidentielle de 2022.

Pour François Hollande, le défi reste de démontrer l’utilité de la gauche, même hors du pouvoir, tout en prônant une social-démocratie capable de fédérer sans effrayer. Impossible de ne pas y lire, en toile de fond, sa feuille de route pour un renouveau politique, appelant à retrouver l’équilibre entre réformes et idéal, sans céder aux extrêmes.

L’auteur 

L’ancien président de la République française François Hollande est diplômé de Sciences Po (promo 74), de HEC et de l’ENA (promo Voltaire). Réélu député de Corrèze en juillet 2024, il intervient régulièrement dans le débat public, fort de son expérience, qu’il détaille notamment dans Les leçons du pouvoir, publié à la fin de son mandat présidentiel.

François Hollande, Le défi de gouverner : La gauche et le pouvoir de l’affaire Dreyfus jusqu’à nos jours, Perrin, 416 pages, 23€


Sujets de société 

Les Ogres

Le lauréat du Prix Albert-Londres pour Les Fossoyeurs revient avec un nouveau livre-enquête sur les dérives du secteur des crèches privées. Victor Castanet dénonce la quête de profit, notamment du groupe People & Baby, qui prime sur le bien-être des enfants. Avec des années d’enquête et des centaines de témoignages, le livre révèle les pratiques douteuses du géant du secteur, souvent accusé de maltraitance et de négligence. 

Au-delà de cette entreprise, c'est tout un système privatisé, soutenu par l’État et certaines municipalités, qui est pointé du doigt pour sa logique de rentabilité à tout prix.

L’enquête va plus loin en dévoilant des liens troubles entre les acteurs de la petite enfance et le sommet de l’État, notamment Aurore Bergé, ancienne ministre des Solidarités, accusée de collusion avec la Fédération des crèches privées. 

Victor Castanet met en lumière un secteur gangrené, où la qualité des soins est sacrifiée sur l’autel du profit et d’enrichissements personnels, le tout avec la complicité tacite des pouvoirs publics. Les Ogres se veut un plaidoyer cinglant contre la privatisation à outrance d’un domaine aussi sensible que la petite enfance.

L’auteur 

Journaliste d’investigation indépendant, Victor Castanet (promo 14) a été distingué du Prix Albert-Londres en 2022 pour son enquête Les Fossoyeurs, qui met en lumière les dysfonctionnements des Ehpad en France. Diplômé d’un Executive Master Management des médias et du numérique à Sciences Po, il y enseigne également à l’École de journalisme.

Victor Castanet, Les Ogres, Flammarion, 416 pages, 22,90€



Les batailles de la natalité : quel « réarmement démographique » ?

En janvier dernier, le président Emmanuel Macron a appelé les Français à un « réarmement démographique ». Une expression qui a suscité la polémique, entraînant selon le sociologue Julien Damon une « bagarre inutile ». Il estime que la vraie question à se poser est celle du désir d’enfant. 

L’auteur pose comme constat que si la natalité baisse, c’est aussi et surtout la fécondité et le désir d’enfant qui rencontrent des obstacles. Loin de se contenter de proposer des solutions traditionnelles (augmenter les places en crèche, accompagner les familles financièrement dès le premier enfant), Julien Damon nous présente des voies d’action inédites, mettant notamment l’accent sur la rencontre. En effet, si certains sont freinés car confrontés à des difficultés pour concilier vie privée et vie professionnelle, d’autres voient leur désir de devenir parent paralysé par l’absence d’un conjoint. Dans ce cadre, ne faudrait-il pas envisager de nationaliser Tinder ou encore d’organiser des bals de la CAF ? Autant de possibilités originales qu’explore le sociologue dans son ouvrage.

 L’auteur 

Julien Damon (promo 09) est sociologue, professeur affilié à Sciences Po, enseignant à HEC et chroniqueur aux Échos. Il est l’auteur de plusieurs autres ouvrages, dont récemment Les politiques familiales (éditions PUF, 2024) ou encore Toilettes publiques : essai sur les commodités urbaines (éditions Presses de Sciences Po, 2023).

 Julien Damon, Les batailles de la natalité : quel « réarmement démographique » ?, Éditions l’Aube, 168 pages, 17,90€


Sortir du travail qui ne paie plus

Comment rebâtir un contrat social par le travail ? Pour lancer la nouvelle collection « LB & Cie » qu’il dirige aux éditions de l’Aube, Laurent Berger a confié cette réflexion à Antoine Foucher. L’ancien directeur de cabinet de Muriel Pénicaud au ministère du Travail propose un essai sur la crise profonde du travail, dont la durée ne diminue plus et la qualité se dégrade.

Rompant avec les attentes du XXe siècle, le travail ne garantit plus les conditions matérielles d’émancipation, en raison d’un pouvoir d’achat stagnant. Antoine Foucher observe alors chez les actifs une résistance accrue et une remise en question de l’importance de leur activité professionnelle dans leur épanouissement personnel.

Face à une société en pleine transformation, l’auteur estime que le politique pourrait renouer un lien de confiance en construisant un nouveau compromis entre les héritiers, les retraités, les travailleurs et les rentiers. Un nouvel idéal où chacun trouverait sa place, se réalisant par son travail tout en contribuant au bien commun.

Dans cet ouvrage solide et pragmatique, Antoine Foucher nous invite à repenser notre système de production pour orienter le travail vers une finalité plus humaine qu’économique.

L’auteur

Titulaire d’une maitrise de sciences politiques de Paris-X et d’un master de Sciences Po, Antoine Foucher (promo 05) a d’abord conseillé Xavier Bertrand au ministère du Travail, avant d’y occuper le poste de directeur de cabinet de Muriel Pénicaud à la suite d’un passage au Medef. Depuis 2020, il dirige le cabinet de conseil en stratégie sociale Quintet.

Antoine Foucher, Sortir du travail qui ne paie plus, éditions l’Aube, 112 pages, 17€


Anti-manuel d’intelligence artificielle : Les nouvelles questions que pose l’IA

En proie à une révolution copernicienne, nos vies doivent se réinventer face aux défis posés par l’apparition de l’Intelligence artificielle. Dans leur anti-manuel, préfacé par Jean-Michel Blanquer, Vladimir Atlani et Victor Storchan partent de ce constat pour démystifier les craintes autour de la machine, afin d’en analyser les véritables périls et opportunités.

Au-delà de sa portée théorique, l’ouvrage s’ancre dans le réel avec de nombreuses anecdotes et exemples concrets. S'adressant autant aux étudiants qu'aux dirigeants, il guide le lecteur pour appréhender l’utilisation de l’IA dans des secteurs aussi variés que l’agriculture, la santé, la sécurité ou encore la politique. En fin de compte, les auteurs appellent à une réinvention de notre système éducatif autour de cinq principes, pour que les citoyens de demain puissent non seulement maîtriser ces technologies, mais aussi les orienter vers un usage éthique et responsable.

L'anti-manuel de l'IA de Vladimir Atlani et Victor Storchan nous aide à naviguer un monde en mutation, avec l’espoir que ces technologies enrichiront notre expérience sans nous déshumaniser.

Les auteurs 

Engagement Manager de McKinsey pendant six ans, Vladimir Atlani (promo 15) est actuellement PDG de Stamp Education et maître de conférences en économie à Sciences Po.

Diplômé de l’ENS Lyon et de Stanford, Victor Storchan est ingénieur en intelligence artificielle.

Vladimir Atlani et Victor Storchan, Anti-manuel d’intelligence artificielle : Les nouvelles questions que pose l’IA, Édition Eyrolles, 22€


Un œil sur l’international

L’Indo-Pacifique : l’enjeu mondial

Qu’est ce que l’Indo-Pacifique ?  Ce concept semble à première vue ne désigner qu’une zone géographique. Pourtant, il possède de multiples acceptions, définitions, interprétations que cet ouvrage collectif tente d’analyser. En effet, si l’Indo-Pacifique désigne un espace où convergent intérêts indiens et japonais, il est aussi l’un des principaux points chauds de la planète, objet de stratégies diplomatiques, économiques et militaires des puissances occidentales, qui tentent par leur investissement dans la zone d’opposer une résistance aux ambitions hégémoniques de la Chine.

Dirigé par les chercheurs Delphine Allès et Christophe Jaffrelot, cet ouvrage collectif expose les multiples enjeux liés à cette notion d’Indo-Pacifique. En étudiant ainsi la diversité des acteurs internationaux qui y interviennent, cette synthèse nous dresse un tableau intégral et nuancé de cet espace maritime convoité.

Les auteurs

Sous la direction de :

Delphine Allès (promo 07) est professeure des universités en science politique, spécialiste des relations internationales et vice-présidente de l’Institut national des langues et des civilisations orientales (Inalco). Elle est chercheuse au centre Asie du Sud-Est.

Christophe Jaffrelot (promo 85) est directeur de recherche au CERI-Sciences Po/CNRS qu'il a également dirigé pendant huit ans. Il est également le codirecteur du programme Asie du Sud de Sciences Po et président de l’Association française de science politique.

Avec les contributions de :

Stéphanie Balme, Nicolas Blarel, David Camroux, Guibourg Delamotte, Jérôme Doyon, Mathieu Duchâtel, Thibault Fournol, Juliette Genevaz, Raphaëlle khan, Christian Lechervy, Hugo Meijer, Alessio Patalano, Karoline Postel-Vinay et Isabelle Saint-Mézard

Sous la direction de Delphine Allès et Christophe Jaffrelot, L’Indo-Pacifique, Coll. L’Enjeu mondial, Les Presses de Sciences Po, 191 pages, 25€


Vers l’écologie de guerre

Pierre Charbonnier développe un concept audacieux : la guerre pourrait être plus bénéfique pour le climat que la paix. L'auteur, enseignant-chercheur à Sciences Po, souligne comment les enjeux climatiques, longtemps relégués au second plan, sont désormais indissociables des questions de pouvoir et de sécurité mondiale. La guerre en Ukraine, en particulier, a poussé l'Europe à accélérer sa transition énergétique pour réduire sa dépendance aux combustibles fossiles russes.

Le philosophe déconstruit l'idée que la paix et la prospérité économique passent nécessairement par l'exploitation des ressources naturelles. Il souligne qu'aujourd'hui, la lutte contre le changement climatique est devenue une arme géopolitique dans les rapports de force internationaux, notamment entre les États-Unis et la Chine. Cette « écologie de guerre » marque une rupture avec la tradition écologiste pacifiste, où le climat devient un levier stratégique dans la quête de puissance.

Vers l’écologie de guerre questionne ainsi l’héritage du pacifisme libéral des Lumières, pour lequel commerce et paix allaient de pair, tout en proposant une réflexion critique sur la manière dont les nations agissent, ou échouent à agir, face à l'urgence climatique.

Pour en savoir plus : lisez son interview sur le site de Sciences Po

L’auteur

Normalien, diplômé de l’EHESS, docteur et agrégé en philosophie, Pierre Charbonnier est chargé de recherches au CNRS. Il enseigne à Sciences Po, notamment le cours de Culture écologique. Plusieurs de ses ouvrages, dont Abondance et liberté, ont été reconnus par ses pairs.

Pierre Charbonnier, Vers l’écologie de guerre, Éditions La Découverte, 23€


L’Histoire de Diana

L’anthropologue Sabine Guez nous plonge au cœur de Ciudad Juárez, ville mexicaine considérée comme la plus dangereuse du monde. Au printemps 2024, 100 morts violentes y ont été recensées par mois. 

À travers le parcours de Diana, issue de l’élite mexicaine et épouse d'un baron de la drogue, Gilberto Ontiveros, alias « El Greñas », l’auteure dresse un portrait à la fois personnel et politique de la violence qui règne dans cette région.

Diana, ambivalente, oscille entre regrets et fascination pour cette vie dangereuse qu’elle a partagée avec son mari, un trafiquant devenu puissant dans les années 1980. Le récit expose la collusion entre le monde des cartels et l’élite mexicaine, où la drogue est perçue comme une voie de réussite sociale, sur fond de crise économique.

Ce livre explore la banalisation de la violence, un « ordinaire » où meurtres et trafics sont devenus des faits acceptés. Sabine Guez capte cette réalité avec finesse, sans jugement, en mettant en lumière la complexité des choix de Diana et l’échec des politiques antidrogue. À travers son enquête, l’anthropologue révèle les racines profondes du chaos à Ciudad Juárez, où la frontière entre la vie quotidienne et la violence extrême s’estompe.

L’auteure 

Sabine Guez (promo 90) a été journaliste aux États-Unis, basée à New York, où elle a couvert l’actualité du pays pour des médias européens pendant 10 ans. Elle a ensuite repris des études d’anthropologie sociale et obtenu son doctorat à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales. Ses principaux objets de recherche sont le trafic de drogue à la frontière du Mexique et des États-Unis ainsi que les techniques et outils d’intelligence artificielle.

Sabine Guez, L’Histoire de Diana, Anacharsis, 21€


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Une profession aux contours mouvants

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