Jean Birnbaum : “Dans le brouhaha des évidences, il n’y a pas plus radical que la nuance “
Dans son ouvrage Le Courage de la nuance (Seuil, 2021), Jean Birnbaum, directeur du Monde des Livres, esquisse le portrait de sept figures intellectuelles dont les postures devraient illuminer nos choix contemporains. Et nous convier à retrouver le chemin de la nuance – à ne pas confondre avec la tiédeur ou l’inaction.
Propos recueillis par Alexandre Thuet Balaguer et Maïna Marjany (promo 14)
Vous aviez abordé des sujets très différents dans vos précédents ouvrages. Qu’est-ce qui vous a conduit à publier Le Courage de la nuance, en 2021 ?
Je fonctionne souvent à partir de mes émotions, cherchant à ancrer mes livres dans le réel. À ce moment-là, j’ai ressenti la nécessité de mettre des mots sur la polarisation des débats, qui devenait de plus en plus tangible. J’avais précédemment publié deux ouvrages – Un silence religieux et La Religion des faibles [deux essais sur le djihadisme, NDLR] – à deux ans d’intervalle, dans lesquels je tentais de creuser les angles morts de ma culture politique, celle de la gauche. À l’époque déjà, mon objectif était d’adopter une approche nuancée, qui échappe aux diverses postures prétendument « radicales », mais authentiquement manichéennes. Pourtant, malgré cette démarche, j’ai constaté une évolution du climat, un changement dans les réactions du public. Lors de débats ou de conférences que je faisais souvent dans les mêmes lieux, parfois avec les mêmes personnes, j’ai observé un basculement. Pour le premier livre, en 2016, les échanges, bien que parfois frontaux, se faisaient dans une écoute respectueuse. Deux ans plus tard, tout avait changé : la tension était palpable, la suspicion omniprésente. Les gens semblaient se demander : « D’où il parle ? Que cachent ses propos ? Pour qui roule-t-il ? » Le débat devenait impossible, saturé de méfiance.
En parallèle, j’ai assisté, comme beaucoup, à la brutalisation des échanges sur les réseaux sociaux, où la mauvaise foi et la violence prenaient de plus en plus le dessus. J’en suis même venu à me retirer de ces espaces. Un tel climat se retrouvait aussi ailleurs, dans les cercles familiaux, amicaux, militants... créant une ambiance de pré-guerre civile où chacun choisit un « ennemi principal » qu’il s’agit de mettre hors d’état de nuire. C’est ce contexte qui m’a poussé à écrire Le Courage de la nuance, afin d’analyser cette fracture. Bien sûr, je n’étais pas le seul à « étouffer parmi les gens qui croient avoir absolument raison », comme le disait Albert Camus, et le livre m’a donc permis de rencontrer beaucoup d’autres personnes partageant cette sensation d’étouffement et cette envie de respirer.
Des ruptures ont-elles marqué ce basculement du débat public ?
Mon livre n’est pas une enquête scientifique ; il n’a aucune ambition d’objectivité ou d’exhaustivité. C’est un essai, avec toute la fragilité et l’incertitude que ce genre suppose. J’y explore des émotions, à commencer par ce sentiment d’étouffement dont je parlais à l’instant.
“« Oui, la polarisation est évidente, mais il y a, au-delà de cela, un climat global de brutalité croissante. »”
Ce que j’observe, c’est un durcissement du monde. Oui, la polarisation est évidente, mais il y a, au-delà de cela, un climat global de brutalité croissante. Cela me rappelle cette phrase de Bernanos : « Le monde est mûr pour toute forme de cruauté. » Il écrivait cela en 1938, en pleine guerre d’Espagne, conflit que beaucoup de contemporains ont vu comme une répétition générale des horreurs à venir. Aujourd’hui, avec ce qui s’est passé en Syrie, en Ukraine, au Moyen-Orient, nous nous habituons à des niveaux de violence de plus en plus extrêmes. Hier encore, certains exhibaient en ligne le cadavre de leur ennemi [Yahya Sinwar, dirigeant du Hamas à Gaza, NDLR]. Ce sont des scènes ou des gestes qu’on n’aurait pas imaginés il y a quelques années. Cette dureté croissante dans nos sociétés, presque animale, ne favorise certainement pas des débats nuancés.
En tant que responsable du service littéraire du Monde, avez-vous observé une polarisation similaire dans les publications elles-mêmes ?
Absolument. Nous autres, critiques littéraires, sommes particulièrement bien placés pour observer ce phénomène, de plus en plus tangible, ces dernières années. Un exemple : jusque récemment, la critique négative d’un essai de sciences humaines suscitait parfois du mécontentement, mais cela restait mesuré, on recevait parfois une lettre courroucée, rien de plus. Aujourd’hui, les réactions sont parfois bien plus virulentes.
“« Au lieu d’être reçue comme une contribution au débat intellectuel, toute critique devient un affront personnel. »”
Certains universitaires réagissent avec brutalité, allant jusqu’à publier des tribunes pour mettre en cause nommément les plumes du journal. Ils ont désormais tendance à percevoir la moindre critique de leur ouvrage – même lorsqu’elle est étayée – comme une attaque personnelle, voire comme le résultat d’une cabale visant à les discréditer. Cette virulence est le symptôme d’une polarisation plus générale : au lieu d’être reçue comme une contribution au débat intellectuel, toute critique devient un affront personnel.
Quand j’observe la radicalisation vindicative de certains esprits savants, je pense à la philosophe Hannah Arendt. En fuyant l’Allemagne nazie, elle a choisi de tourner le dos aux intellectuels, à ces théoriciens raffinés qui étaient censés incarner la nuance et qui s’étaient révélés les plus complaisants à l’égard de la violence totalitaire. Aujourd’hui, on assiste à une forme de radicalisation du monde intellectuel, où beaucoup se demandent pour qui l’autre « roule », au service de quel parti obscur, avec quel agenda caché. Dans ces conditions, le dialogue devient quasiment impossible. Quand le monde universitaire se tend ainsi, quand chacun s’y trouve assigné à un camp ou à une idéologie, cela annonce souvent des tensions plus générales, des périls plus globaux.
Vous évoquez Camus et son « courage des limites » ainsi que sa « radicalité de la mesure ». Ces idées semblent opposées à la perception classique de la nuance comme tiède. Pouvez-vous expliquer pourquoi, selon vous, être nuancé constitue un véritable acte de courage ?
Camus le résume bien en disant que « l’équilibre est un effort et un courage de tous les instants ». L’arrogance et le dogmatisme, au contraire, sont des facilités. Dans les débats, qu’ils soient amicaux ou politiques, il y a toujours ce moment où l’on peut choisir d’adopter une position nuancée, mesurée, qui prend en compte les contradictions du sujet, la complexité des choses, mais cela demande un effort. Il est souvent bien plus facile de jouir de sa propre mauvaise foi (car cela peut être une jouissance) ou de suivre la meute dans laquelle on est confortablement installé, comme sur X. Dans ce contexte, oser dire que l’on n’est pas entièrement d’accord avec son groupe d’appartenance, c’est faire preuve de hardiesse. Dans le brouhaha des évidences, il n’y a pas plus radical que la nuance.
Les héros et héroïnes de mon livre ont été confrontés aux épreuves les plus rudes du XXe siècle. Sur le moment, parce qu’ils refusaient de céder au manichéisme ambiant, ils sont passés pour des lâches ou des tièdes. Mais, avec le recul, on voit que non seulement leurs positions étaient plus dignes intellectuellement, plus justes moralement, mais qu’elles auraient aussi été plus efficaces du point de vue de l’action politique.
“« L’une des grandes leçons du XXe siècle, c’est qu’une lutte menée au mépris du réel et de ses contradictions est une lutte vouée aux pires impasses. »”
Depuis la sortie de mon livre, je me suis aperçu que ces idées intéressent des gens d’horizons très divers, par exemple des syndicalistes, des entrepreneurs ou des directeurs d’hôpitaux. Ils réalisent qu’adopter une position nuancée peut paraître difficile, voire lâche, mais que cela mène souvent à des décisions plus éclairées, aux effets plus durables. Cela vaut aussi pour des jeunes qui portent une espérance politique radicale. En 2021, j’avais eu la chance (un peu intimidante) de prononcer la « leçon inaugurale » lors de la rentrée solennelle de Sciences Po. Tout en ayant bien conscience que mes paroles me condamnaient au rôle du « vieux relou », j’avais essayé de défendre cette idée devant eux : il existe mille raisons d’être en colère contre le monde tel qu’il est, si injuste et si cruel, et donc mille raisons de s’engager. Mais l’une des grandes leçons du XXe siècle, c’est qu’une lutte menée au mépris du réel et de ses contradictions est une lutte vouée aux pires impasses. Chaque fois que des militants ont cru légitime d’occulter telle ou telle vérité afin de ne pas « faire le jeu » de leurs adversaires, leur combat a très mal tourné.
L’espérance de demain, si elle veut vraiment être radicale et créer un monde plus juste, plus humain, devra tenir compte du réel dans sa complexité, elle refusera de décrire le monde en noir et blanc, quitte à se mettre à dos les fanatiques de toutes les couleurs. Voilà pourquoi, par exemple, il faut accepter que ses adversaires, voire ses ennemis, puissent parfois avoir raison, et rester vigilant quant à ses propres biais. Est-ce seulement possible ? Cela exige un peu de mémoire et cela implique que la transmission existe en politique. Or beaucoup en doutent. Moi j’y crois, c’est ma foi.
“« Chaque fois que des militants ont cru légitime d’occulter telle ou telle vérité afin de ne pas « faire le jeu » de leurs adversaires, leur combat a très mal tourné. »”
Pourriez-vous partager un exemple marquant qui illustre vos idées ?
Prenons un sujet sensible, comme le djihadisme, surtout en ce moment, alors que nous sommes en plein procès de l’assassinat de Samuel Paty et que nous commémorerons bientôt les 10 ans de l’attentat contre Charlie Hebdo. Au lendemain de cet attentat, en janvier 2015, le président de la République, de nombreux politiques, mais aussi des intellectuels, ont affirmé que ces actes n’avaient « rien à voir » avec l’islam. Leur propos partait d’une intention louable : il s’agissait d’éviter l’amalgame entre d’un côté le djihadisme comme violence sanglante et de l’autre, l’islam comme spiritualité. Le problème, c’est que ce « rien à voirisme », comme je l’ai appelé dans Un silence religieux, n’est ni pertinent ni efficace. Toutes les religions ont leurs crispations dogmatiques et leurs avatars meurtriers. Affirmer que le djihadisme n’aurait rien à voir avec l’islamisme qui n’aurait lui-même rien à voir avec l’islam est simplement faux. Surtout, cela ne rend pas service aux musulmans du monde entier, théologiens ou simples croyants, qui se battent pour soustraire leur foi aux fanatiques.
Affirmer que le djihadisme n’a rien à voir avec l’islam, ou au contraire que le djihadisme dit la vérité de l’islam, voilà deux positions à la fois symétriques et fausses. Ni l’une ni l’autre ne permet d’agir dans le réel, car toutes deux en nient la complexité. Pour comprendre le phénomène islamiste et faire face à la violence djihadiste, mieux vaut donc adopter une attitude nuancée : reconnaître les trésors de l’islam dans sa diversité humaine et spirituelle, tout en admettant qu’à l’échelle mondiale, aujourd’hui, cette religion se trouve dominée par des intégristes qui veulent imposer une interprétation dogmatique et parfois sanglante du Coran.
Avez-vous trouvé des pistes pour réintroduire concrètement du dialogue et de la nuance ?
J’ai voulu bâtir mon livre comme une sorte de manuel de survie par sale temps idéologique : comment tenir bon, et se tenir bien, dans une époque de montée des extrêmes et de brutalité idéologique ? Par la suite, j’ai animé pour les lecteurs et les lectrices du Monde une série de cours du soir intitulée « La nuance mode d’emploi », où l’on s’entraînait à se méfier de soi-même, à écouter des avis différents, même lorsque cela nous irritait.
Un exercice simple : sur un réseau social, quand vous êtes en désaccord, même violent, avec quelqu’un, essayez de considérer que l’autre, même s’il paraît être un troll absurde, pourrait avoir un point de vue valable. Cela rejoint ce que je disais sur la peur de « faire le jeu » de l’adversaire. Une autre piste évidente et assez exaltante, c’est l’humour ! L’autodérision devrait tenir une place beaucoup plus importante dans les discours politiques et militants. Dès qu’on use de l’ironie, on prend un peu de recul par rapport à nos stéréotypes, on remet un peu de jeu dans le langage et les idées, on risque moins de coller à sa propre bêtise.
Justement, selon vous, aucune lutte ne peut aboutir à un avenir plus juste si elle n’est pas fondée sur la nuance. Mais comment pourrait-on, par exemple, forger une identité ou fonder une révolution autour de ce concept ?
Il serait absurde de prétendre imposer le sens de la nuance, mais je reste convaincu que sans nuance, rien de juste ne peut se bâtir, ni intellectuellement ni politiquement. À mes yeux, vous l’avez compris, non seulement on doit pouvoir être radical en restant nuancé, mais la nuance constitue la vraie radicalité. Songeons seulement à George Orwell, auteur du roman antitotalitaire 1984. Difficile de le décrire comme non engagé, puisqu’il se bat contre le fascisme un fusil à la main, aux côtés de ses camarades anarchistes, durant la guerre d’Espagne. Mais cela ne l’empêche pas de dénoncer les mensonges de la presse « progressiste » et les crimes staliniens, les assassinats des dissidents trotskistes ou libertaires. Dans son magnifique livre Hommage à la Catalogne, il témoigne de cette double exigence : se jeter à corps perdu dans la lutte politique, sans jamais sacrifier le réel sur l’autel de l’idéologie. À ses yeux, cela passait notamment par une certaine éthique de la vérité et de la franchise, le refus de ce qu’il appelait « les méthodes totalitaires de la controverse »... De la même manière, un autre écrivain libertaire que j’admire beaucoup, Victor Serge, considérait que l’espérance révolutionnaire était vouée à l’échec si elle était portée par des gens mus par la haine et le fanatisme. Il ne s’agit pas de renoncer à ses convictions, mais de se méfier de soi-même, d’affronter ses mauvaises pulsions, de reconnaître ses propres contradictions pour mieux affronter celles du réel.
“« À mes yeux, non seulement on doit pouvoir être radical en restant nuancé, mais la nuance constitue la vraie radicalité. »”
Depuis la sortie de mon livre, j’ai rencontré beaucoup de gens qui partagent cette vision. Beaucoup d’entre eux ne se sentent plus représentés politiquement. Comme le disait l’écrivain Georges Bernanos, « l’homme de bonne volonté n’a plus de parti ». Cela vaut aussi pour les hommes et les femmes de nuance. De conférence en débat, j’ai découvert une sorte de fraternité souterraine de la nuance, qui rassemble des personnes d’âges et d’origines variés. Si bien que je suis bien plus optimiste qu’avant la parution de mon livre !
Lorsque l’on pense à des situations de conflit, comme à Gaza et en Ukraine, est-ce encore possible d’être nuancé ?
Je crois fermement qu’une approche nuancée est possible sur tous les sujets – j’ai essayé de vous le démontrer en prenant l’exemple du djihadisme. Cela vaut aussi pour les guerres en Ukraine et à Gaza. Là encore, il faut écouter les arguments des différentes parties, documenter les faits, nommer les choses, décrire le réel dans la pluralité de ses contradictions pour mieux affirmer ses indignations... tout en luttant contre sa propre mauvaise foi. Bien sûr, il existe des contextes où cela s’avère plus ardu, plus douloureux, qui nécessitent un effort supplémentaire. Mais c’est justement ici que la nuance est d’autant plus nécessaire et qu’elle relève vraiment du courage. Lorsque je donne des conférences sur ces questions, j’encourage toujours les participants à explorer ce qui les habite, les hante, les aveugle... Aborder un sujet de manière nuancée implique d’abord une révolution de regard. Comme le disait Charles Péguy, « il faut toujours dire ce que l’on voit ; surtout, il faut toujours, ce qui est plus difficile, voir ce que l’on voit ». Cela exige d’ouvrir les yeux. La nuance, c’est souvent un aveuglement surmonté. Et plus un sujet est compliqué, périlleux, plus cette révolution du regard est spectaculaire. La nuance, alors, relève d’une foudroyante lucidité.
Mais comment être certain que l’on est soi-même nuancé ?
Il y a un petit test facile à mettre en œuvre. Quel que soit le sujet que vous prétendez aborder (comme journaliste, étudiant ou encore militant), vous identifiez d’emblée deux camps qui constituent les deux pôles à la fois extrêmes et symétriques d’une même radicalité, ou prétendue telle, deux camps qui ne tolèrent aucune nuance sur ledit sujet. Pour savoir si votre propos est nuancé, c’est assez simple : si l’un des deux camps en question vous applaudit, c’est mauvais signe ; en revanche, si les deux camps vous tombent dessus et vous accusent de « rouler » pour l’autre, c’est que vous avez probablement réussi à produire une parole libre, qui échappe aux langues de bois, donc aux grégarismes idéologiques.
“« Si les deux camps vous tombent dessus et vous accusent de « rouler » pour l’autre, c’est que vous avez probablement réussi à produire une parole libre. »”
Mais votre question nous emmène en réalité dans des territoires vertigineux. Car à la fin des fins, j’ignore pourquoi telle personne, à tel moment, trouve en elle le courage de la nuance. Prenez l’exemple d’une banale réunion au sein d’une entreprise ou d’une association. Vous êtes un certain nombre autour de la table. Au bout de quelques minutes, plusieurs d’entre vous ressentent cette évidence solide : pour commencer à traiter de façon un peu sérieuse le sujet qu’on prétend aborder dans cette réunion, il faudrait nommer tel fait que personne n’a envie de nommer, rappeler tel épisode que personne n’a envie de rappeler. Soudain, l’un ou l’une d’entre vous prend la parole pour nommer ce fait, pour rappeler cet épisode. La semaine précédente ou la suivante, cette personne n’aurait peut-être pas osé. Alors, pourquoi elle, et pourquoi ce jour-là ? C’est assez mystérieux et aucune causalité sociologique ne semble donner la clé.
Souvent, on me dit : « Oui, mais la nuance c’est un truc de privilégiés, d’intellos, faut avoir le temps et les moyens de ce courage-là... » Or tout mon livre montre le contraire. Comme je le disais déjà à propos d’Arendt, les gens qui sont censés prendre le temps de décrire le réel dans sa complexité, et qui sont même payés pour ça, autrement dit les intellectuels, sont aussi ceux qui ont souvent manifesté leur complaisance à l’égard des idéologies mortifères.
Dans le beau livre que Jean Hatzfeld a consacré aux « Justes » rwandais (Là où tout se tait), il y a une infirmière qui a sauvé une jeune Tutsie pendant le génocide en la faisant passer pour son enfant. Pour expliquer son geste, elle dit simplement : « Dieu nous propose des libertés, j’en ai saisi une. » Voilà. Comme le montrent aussi les ouvriers libertaires qui se battaient aux côtés d’Orwell, le courage de la nuance n’est pas une question de diplôme ou de classe sociale. Que ce courage s’ancre dans une espérance spirituelle, un idéal politique ou un héritage familial, il se branche sur une énergie symbolique qui vient de plus loin que vous et qui ira au-delà. C’est un élan de l’âme, le sursaut qui vous permet d’entrer en dissidence avec vous-même, et qui vous donne la force d’être fort.
Cet article a initialement été publié dans le numéro 31 d’Émile, paru en décembre 2024.