10 ans après les attentats : comment perpétuer la mémoire ? 

10 ans après les attentats : comment perpétuer la mémoire ? 

Il y a dix ans, de multiples attentats ont frappé la France. Le 11 mars dernier, Émile s’est rendu à la commémoration de la Journée nationale d'hommage aux victimes du terrorisme à Paris, afin de comprendre la place et le rôle du devoir de mémoire dans notre société.

Par Lisa Dossou et Liséane Sabiani

En janvier 2016, trois mois après les attentats du Bataclan, un chêne est érigé sur la place de la République. Surnommé « l’arbre du souvenir », il constitue depuis « le lieu de rassemblement spontané des Parisiens pour marquer leurs émotions, leur colère, leur refus », raconte Rémi Féraud (promo 94), sénateur de Paris et maire du Xe arrondissement au moment du drame de novembre 2015. Le 11 mars dernier, la cérémonie annuelle d’hommage aux victimes des attentats s’est tenue à son pied.

Commémoration du 11 mars 2025 à « l’arbre du souvenir», place de la République. (Crédits : Liséane Sabiani)

Selon Rémi Féraud (promo 94), rendre hommage, c’est tout d’abord « un moyen de respecter le souvenir des victimes, qui sont mortes pour nous, et de ne pas les oublier. » En observant les gerbes déposées près de l'arbre, l’élu ajoute : « Les attentats de 2015, à Charlie en janvier, et le 13 novembre sur les terrasses et au Bataclan, sont inscrits profondément et durablement dans la mémoire de Paris. » Ariel Weil (promo 97), maire du centre de la capitale, insiste sur l’importance de commémorer sans délai les tragédies qui marquent notre histoire récente : « C’est une mémoire qui nous a frappés, qui nous a meurtris, qu’on a connue de notre vivant. C’est extrêmement important de ne pas s’habituer, de ne pas attendre cinquante ans, comme on le faisait autrefois, avant que la mémoire ne se fasse. »

« C’est extrêmement important de ne pas s’habituer, de ne pas attendre cinquante ans, comme on le faisait autrefois, avant que la mémoire ne se fasse. »
— Ariel Weil (promo 97)

Quelques jours après la cérémonie, nous avons sollicité l’expertise de Constance Rivière (promo 04), actuellement directrice générale du palais de la Porte-Dorée, et directrice adjointe du cabinet du président de la République pendant les attentats. À la suite du drame du Bataclan, en collaboration avec des responsables des ministères de la Défense, des Affaires étrangères et de l'Intérieur ainsi que des magistrats et des équipes de secours, elle a piloté l’ouverture d’un centre d'accueil et l’élaboration de dispositifs de circulation de l’information à l’usage des proches des victimes. En 2019, elle publie un roman intitulé Une fille sans histoire aux éditions Stock, dans lequel elle fait le récit d’Adèle, une jeune femme qui prétend être la petite amie de Matteo, un étudiant disparu lors les attentats du 13 novembre 2015. 

Constance Rivière nous rappelle que « le cœur du sujet consiste à ne pas oublier que c'est d'abord des trajectoires familiales, personnelles qui ont été percutées », causant « beaucoup de traumatismes individuels ». Considérer la dimension nationale de ces drames est donc nécessaire, mais insuffisant : il faut rendre compte de la souffrance qu’ils causent aux personnes directement concernées. Ainsi, selon Constance Rivière, il est essentiel de travailler à la « réhabilitation de la douleur individuelle et familiale », tandis que « l’État, dont [elle a] été représentante, a peut-être trop pensé une résilience collective en oubliant parfois les victimes directes. »

Dans Une fille sans histoire, elle travaille sur cette question « du brouillage des frontières et du point où certains pourraient, en quelque sorte, basculer, se prendre pour une victime sans l'avoir été réellement, confondant les peurs nées d'un traumatisme collectif avec la violence directement subie par des milliers de personnes ». Selon l’auteure, la littérature permet « d’explorer les zones d’ombre d’un drame à travers la plume de l’écrivain. C’est comme s’il possédait une lampe de poche qui lui permettait d’éclairer, dans la  pénombre, plusieurs pans d’une histoire. Il fait donc usage d’un moyen, parmi d’autres, de creuser la réalité, l’écho d’un drame. »

« La mémoire, c’est continuer à avoir la brisure mais rester, trouver une forme d’union malgré tout. »
— Constance Rivière (promo 04)

Constance Rivière insiste aussi sur l'importance de la commémoration collective. « La mémoire permet de remettre les pièces ensemble. C’est un peu comme l’art japonais du kintsugi. Il y a un vase qui est brisé et on essaye de le réparer avec un fil d'or. Une politique mémorielle, quand elle est juste, tente de remettre du lien et de rassembler ce qui a été brisé en lui donnant une force particulière. La mémoire, c'est continuer à avoir la brisure mais rester, trouver une forme d'union malgré tout. »

Cette année, à l’occasion des dix ans des attentats du 13 novembre, un jardin mémoriel, dont les travaux sont en cours d’achèvement, sera inauguré sur la place Saint-Gervais, dans le IVe arrondissement de Paris, et alliera les dimensions individuelles et collectives de la mémoire. Comme l’évoque Constance Rivière, les lieux de mémoire recouvrent une forte importance symbolique, dans la mesure où « ils permettent de se retrouver et d’échanger au-delà des dates ». Un point sur lequel insiste Ariel Weil, selon qui la commémoration est un « travail extrêmement important, qu’il faut constamment réinventer ».



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