Sur YouTube & Co, chacun sa "bulle"

Sur YouTube & Co, chacun sa "bulle"

Qui se ressemble s’assemble : ce phénomène, que les sociologues appellent « homophilie » et qui gouverne aussi les relations sociales en dehors du numérique caractérise les relations qui se nouent sur les réseaux sociaux. Contrairement à ce qu’avaient imaginé les pionniers d’internet, alors qu’ils ont la possibilité d’interagir avec une immense diversité d’individus, les utilisateurs des plateformes en ligne échangent le plus souvent avec ceux qui leur sont proches. 

La carte en réseau des chaînes du YouTube français esquissée ci-contre démontre de manière frappante le réseautage en ligne entre personnes proches par l’âge, le genre, l’ethnicité, l’éducation, le métier, la classe sociale, la religion, les croyances ou les comportements, en dessinant des territoires thématiques très cohérents.

Les médias dits « centraux » (ou mainstream, soit les médias les plus établis en matière d’audience et de ressources) sont au nord ; les médias de gauche sont au nord-est ; les chaînes de droite et d’extrême droite sont dans les parties du centre et de l’est ; les chaînes centrées sur la culture pop sont au nord-ouest, etc. Elle n’a pourtant pas été construite à partir d’une analyse du contenu des chaînes ou des personnes qui les produisent, mais uniquement à l’aide des commentaires des utilisateurs : deux chaînes YouTube sont d’autant plus proches l’une de l’autre qu’elles sont commentées par les mêmes personnes. En d’autres termes, pour cartographier le YouTube français, il suffit de considérer qui commente quoi, car les individus qui partagent les mêmes goûts (et souvent les mêmes orientations politiques) regardent les mêmes chaînes, selon une homophilie que viennent encore amplifier les algorithmes de recommandation. 

Les utilisateurs des plateformes interagissent avec ceux qui leur ressemblent d’abord parce qu’ils évitent ainsi la confrontation, toujours coûteuse, avec des individus qui ont des convictions différentes des leurs. Ils ou elles recherchent aussi un espace de discussion où ils ne subiront pas des échanges malveillants ou violents. Les personnes appartenant à des minorités, par exemple, en se limitant à des échanges avec leurs pairs, sont moins exposées aux risques d’agression. 

Cela les aide en outre à développer leur propre identité et à surmonter les difficultés qu’elles rencontrent dans une société marquée par le racisme. Danah Boyd l’a bien montré à propos des adolescents américains, qui cherchent prioritairement à interagir sur les réseaux sociaux avec d’autres adolescents de la même couleur de peau et de la même classe sociale. 

Les chaînes YouTube en langue française selon les affinités politiques et culturelles, 2023
Dominique Cardon et al., “Les discours de haine sur YouTube”, rapport de la CNCDH 2023.
© Nicolas Boeuf, Florine Lecomte/Presses de Sciences Po, 2023

Cette carte réseau réunit 931 chaînes YouTube en langue française, chacune représentée par un point dont la grosseur est fonction de son importance dans le réseau. Des liens de proximité ont été établies à chaque fois que les vidéos de deux chaînes étaient commentées par une même personne. Une zone très dense en lien indique une forte homophilie.

Cette infographie et cette analyse sont extraites de l’Atlas du numérique, sous la direction de Dominique Cardon, Sylvain Parasie et Donato Ricci avec l’Atelier de cartographie de Sciences Po, qui est paru en 2023 aux Presses de Sciences Po.

Cet article a initialement été publié dans le numéro 31 d’Émile, paru en décembre 2024.



Sylvain Kahn : "L'Europe de la défense est dorénavant un objectif de politique publique"

Sylvain Kahn : "L'Europe de la défense est dorénavant un objectif de politique publique"

Benjamin Tainturier : "Les réseaux sociaux sont le reflet de tensions politiques plus anciennes et structurelles"

Benjamin Tainturier : "Les réseaux sociaux sont le reflet de tensions politiques plus anciennes et structurelles"