Interview - Mathilde Fachan : l'alliance de la politique et de la gourmandise
Émile est allé à la rencontre de Mathilde Fachan, fondatrice et gérante du Politicafé dans le XVIIIème arrondissement de Paris. Diplômée de Sciences Po et d’un CAP en pâtisserie, cette jeune entrepreneure passionnée de politique a décidé d’allier avec virtuosité ses deux passions. Les menus rendent hommage à la vie politique française, en particulier sous la Vème République. Vous pourrez y découvrir les formules Matignon et Grenelle, le flan de François ou encore les chouquettes de Nicolas…
Propos recueillis par Barbara Juvé (promo 2012)
Votre parcours est assez étonnant. Pourriez-nous dire comment on passe de la rue Saint-Guillaume à un CAP pâtisserie ?
J’étais bonne élève à l’école, j’ai donc opté assez naturellement pour Sciences Po, même si je savais déjà que l’univers de la pâtisserie me faisait très envie. Je suis allée sur le Campus du Havre [le campus Europe-Asie, NDLR], puis je suis partie une année à l’Université de Waseda, au Japon. J’ai achevé ma scolarité à Sciences Po par un Master Affaires Européennes. Après mon stage de fin d'étude à RFI/France24 comme attachée de presse, je suis restée 6 mois de plus pour mon premier CDD. Quand, finalement, on m’a proposé de rester, j’ai su que le moment était venu de faire un choix : j’ai décidé de passer mon CAP Pâtisserie en apprentissage au CFA de Bobigny en un an. Aujourd’hui, cela fait cinq ans que je suis pâtissière !
Quelle partie de vos études avez-vous préféré : la théorie politique ou la pratique pâtissière ?
Dure question ! J'ai beaucoup appris, en général et aussi sur moi-même, au sein des deux cursus. Mais en tant qu’élève un peu "intello", j'ai sûrement plus appris en pâtisserie : le monde de l'artisanat me paraissait loin après toutes ces années la tête dans les bouquins…
Mais au fond, il s’agit moins du cursus en lui-même que de ce qui nous convient. J'adore la pâtisserie, les choses sont concrètes et cela nécessite une vraie gymnastique, tant au niveau de l’esprit que de la pratique manuelle. Mais tout le monde n’est pas fait pour ça. Il y a d’ailleurs beaucoup de profils en reconversion qui viennent faire de la pâtisserie et qui repartent au bout de quelques jours ou semaines. Le rythme est très soutenu en cuisine.
C’est aussi un milieu où les gens ne sont pas tendres, ce qui peut en effrayer certains au début de leur immersion. Pendant les 5 ans passés en tant que salariée en pâtisserie, j'étais généralement payée au SMIC pour environ 13h/jour (souvent sans pause), et j’étais loin d'être une exception !
Comment est né le Politicafé ?
En réalité, j’ai eu très vite l’envie d'ouvrir « un lieu à moi » et c'est aussi dans cette optique que j'avais décidé de passer un CAP Pâtisserie. Un jour, il y a plus de deux ans, je suis repassée devant Sciences Po, rue Saint-Guillaume, et j'ai pensé au fait qu'il n'y avait pas forcément beaucoup d'endroits pour passer des moments conviviaux là-bas. J'ai commencé à imaginer, pour rire, un café-restaurant qui serait situé dans le quartier et qui ferait plein de références à la politique... Je pensais notamment à créer un menu Chirac (corona + hot-dog), ou à proposer des petits plats à emporter pour les élèves qui termineraient à 21h, et sous l'emballage desquels on pourrait trouver une question de culture institutionnelle « pour préparer son grand O »... C’est resté à l’état de blague pendant les six premiers mois et puis, j'ai fini par me dire : « après tout, pourquoi pas ? Ça n'existe pas encore à Paris ! » Evidemment, les locaux étaient hors de prix à Saint-Germain-des-Prés. J'ai donc cherché ailleurs... et ouvert le concept à tout le monde !
Pouvez-vous nous expliquer le concept du Politicafé ?
J'ai créé le Politicafé dans un esprit bon enfant, qui rendait hommage à cette culture très hexagonale : nous sommes hyper politisés en France, ce qui n’est pas le cas dans tous les pays (après avoir vécu au Japon, je m'en rends compte). Même les gens qui prétendent « ne pas s'intéresser à la politique » ont tous regardé une émission politique une fois dans leur vie… La tradition du repas du dimanche qui se termine en débat, ce n'est pas dans toutes les familles, mais c'est fréquent.
C'est cet esprit que je veux recréer, où des proches se disputent quant à leurs opinions politiques puis finissent par trinquer ensemble autour d’un verre et d’un bon plat. Parce qu'on peut être en désaccord sur l'actualité sans pour autant se détester en tant qu’individu, ni rompre la discussion !
Avec le recul, avez-vous l’impression que vos doubles compétences se complètent ?
Complètement ! Être chef d'entreprise nécessite une vision d'ensemble : on ne peut pas penser que sur le court-terme, voir l'intendance uniquement à travers une lentille « immédiate ». Même s'il s'agit d'une petite structure, il faut penser aux coûts, aux ressources humaines, à la dynamique entre les employés, à la dynamique de la clientèle, au marketing, à la représentation, à la diversification des services...
Il y a deux manières de considérer les choses : je me suis dispersée entre deux domaines et deux profils, et je n'appartiens vraiment à aucun milieu ; ou au contraire, ce parcours atypique me permet de combler les lacunes propres à chaque parcours « classique » en restauration et en entrepreneuriat.
Concrètement, la formation Sciences Po m'a beaucoup aidée pour la première phase de la création d'entreprise : le business plan, la synthèse des données, les études de marché, la présentation aux banques… et la rapidité d’exécution pour produire de tels documents !
Vous avez choisi, avec le Politicafé, de rire autant de la droite que de la gauche traditionnelle. Qu’en est-il des extrêmes ?
D’abord, je tenais à dire que le concept est non partisan, l’idée est davantage de se baser sur une culture commune, des anecdotes ou déclarations qui sont passées dans la culture populaire.
En ce qui concerne les extrêmes, il est vrai que j'évite de les représenter en photo, car le sujet est très sensible. Pour autant, les clins d'œil ne sont, certes, pas interdits. J'ai d'ailleurs pour projet d'afficher une photo représentant une ligne de shots comportant la légende : « Quand il y en a un, ça va encore, c'est quand y'en a plusieurs que ça pose problème... ». L'important est, selon moi, de savoir de quoi on rit. La phrase de Brice Hortefeux était pour moi insupportable dans son contexte, mais je veux rire de son absurdité en la transposant dans un contexte qui n'a rien à voir.
Mais je ne suis pas naïve : j'ai beau réfléchir aux blagues que je fais, aux raisons pour lesquelles elles me font rire, et être très attentive à ça, le Politicafé ne plaira pas à tout le monde. Tout simplement parce que les gens ont des seuils de tolérance différents. Et certaines personnes pensent qu'on ne peut pas rire de politique. C'est pour cette raison que je ne souhaite pas faire trop référence aux extrêmes. Par contre, quand Florian Philippot quitte son parti après un couscous-gate, ça me donne envie de proposer du couscous revisité le lendemain...
Quel est, selon vous, une des recettes/cocktails phares de la saison ?
Côté pâtisserie, le « Dircab », un chou au praliné croustillant et crème fruit de la passion remporte un gros succès. Quant aux cocktails, les clients plébiscitent le « Monopole du Cœur », au bourbon, thé fruit rouge et confiture de groseille et le « Karsher », plus doux qu'il n'y paraît, à base de tequila, citronnelle et chartreuse jaune.
D'autres projets ?
Plein ! Déjà, on adorerait avoir un foodtruck pour se rendre aux universités d'été et aux manifs. Ensuite, ce serait super de créer des antennes spécialisées telles que le Politibar, qui serait juste ouvert le soir. On pourrait en créer à Bordeaux près de l'ENM, ou à proximité des différents IEP. Et, franchement, créer une cafétéria Politicafé au sein de Sciences Po, ce serait si bien ! Imaginez un café qui proposerait des produits de qualité, permettant de manger correctement pour un prix raisonnable, autour de références politiques. A bon entendeur, si la Direction est intéressée !