Vote des militaires : à droite toute

Vote des militaires : à droite toute

Une meilleure connaissance du monde des armées passe également par une analyse de ses opinions politiques. Comment a évolué le vote militaire dans le temps ? Est-il le reflet de celui de la population française ? Dans le cadre de notre grand dossier sur l’armée française, le politologue Pascal Perrineau (promo 74) s’est attelé à un décryptage des habitudes électorales de la Grande Muette.

Par Pascal Perrineau

Défilé du 14 Juillet (Crédits: Pixinoo, Shutterstock)

Pour des raisons historiques et culturelles, le tropisme politique des militaires est en faveur de la droite. Et pourtant, dans la période post-révolutionnaire de la fin du XVIIIe et du début du XIXe siècle, le soldat n’avait pas bonne presse dans la droite ultra et chez les royalistes. Il apparaissait alors, selon les termes de Raoul Girardet, comme le « jacobin botté, assiégeant des châteaux et démolisseur des cloîtres ». 

Ainsi, jusqu’au milieu du XIXe siècle, l’idée militaire fut exaltée par la gauche libérale. Mais, de l’affaire Dreyfus au traumatisme de 1940, du coup d’État du 2 décembre 1851 à la guerre d’Algérie, l’armée est devenue de droite. À l’image du bretteur révolutionnaire épris de liberté et de démocratie se substituera celle du défenseur de l’ordre et des valeurs d’autorité. Ceux qui aspirent à un changement de l’ordre établi vont même tomber dans l’antimilitarisme et la dénonciation d’une « armée prétorienne ». Cela n’empêcha pas l’armée française de se rallier à une forte culture de neutralité et d’obéissance au pouvoir politique légitimement élu. 

Cependant, derrière la neutralité d’une institution très rarement prise en défaut, les hommes et les femmes qui la constituent restent attirés par des valeurs et des attitudes proches de la droite dans ses diverses composantes. Dans la vague 24.1 de l’enquête du Cevipof-Ipsos pour le journal Le Monde et la Fondation Jean Jaurès, réalisée du 9 au 15 avril 2021, 10 000 personnes ont été interrogées sur leurs préférences politiques. Parmi celles-ci, on compte 158 militaires et policiers à partir desquels on peut dresser un portrait contemporain de leurs choix politiques. Pour des raisons d’effectifs, les policiers sont mêlés aux militaires, sans que l’on ait l’impression que les premiers divergent profondément des seconds.

Tout d’abord, en termes d’attitude générale, les militaires et les policiers se positionnent beaucoup plus à droite que la moyenne des Français. Ils sont 64 % à choisir la droite (contre 33 % de la moyenne des Français), 26 % le centre (contre 39 %) et 5 % la gauche (contre 18 %). En termes de proximité partisane, le Rassemblement national (39 % contre 21 % dans la moyenne nationale) et Les Républicains (25 % contre 15 %) arrivent très nettement en tête devant LREM (14 % contre 17 %) et le PS (4 % contre 11 %). Ensuite, en termes d’orientation des intentions de vote pour la prochaine élection présidentielle de 2022, Marine Le Pen fait la course largement en tête (44 % d’intentions de vote dans le cadre d’un premier tour contre 26 % dans la moyenne nationale) devant Xavier Bertrand (24 % contre 15 %) et Emmanuel Macron (20 % contre 24 %) ; les différents candidats de gauche et de l’écologie rassemblant seulement 7 % d’intentions de vote des militaires et des policiers (contre 32 % en moyenne nationale). Une analyse géographique sur le vote des casernes réalisée en juillet 2019 aboutit aux mêmes conclusions. 

Ainsi, comme on peut le constater, la tendance droitière des militaires se confirme, même si elle ne connaît aucune accentuation particulière au cours des dernières années. L’attachement à des valeurs d’ordre, de service de la nation, de valorisation de l’unité de cette dernière ainsi que de défense du « pré carré national » contre les menaces internes et externes sont autant de soubassements forts de leur attirance pour la droite. L’ordre, une sensibilité particulière au national et un souci viscéral de l’unité sont autant de « vertus militaires ». Elles sont davantage en harmonie avec une droite qui les valorise qu’avec une gauche qui les relativise ou les conteste. 

Ce portrait a été initialement publié dans le numéro 22 d’Émile magazine.



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