Jacques Bingen, résistant
Le 13 mai 1944, Jacques Bingen, alumnus et résistant, se donnait la mort pour échapper à la Gestapo et éviter de dévoiler les secrets qu’il détenait. Quatre-vingts ans plus tard, nous retraçons son parcours pour lui rendre hommage.
Jacques Bingen naît à Paris, le 16 mars 1908, dans une famille juive d’origine italienne. Son frère Max est tué pendant la Première Guerre mondiale, en 1917. Après avoir obtenu son baccalauréat avec mention au lycée Janson-de-Sailly, il intègre l’École des Mines de Paris. « Mais, se sentant déjà à l’étroit dans une technicité fermée, il s’inscrivit également à l’École des Sciences politiques », raconte le Journal de la marine marchande, en 1946.
Bingen sort diplômé de la section Finances privées de la rue Saint-Guillaume, en juillet 1931. Une consultation de son dossier scolaire permet de constater que les notes obtenues sont majoritairement bonnes et les commentaires des professeurs plutôt élogieux. « Esprit fin et réfléchi », écrit par exemple le correcteur de l’examen « La monnaie et les changes », en novembre 1930. Même si certains sont plus critiques : « Répond avec vigueur, mais il gagnerait à posséder plus de connaissances et à réfléchir davantage » (Économie sociale, novembre 1929).
Après ses études, Jacques Bingen effectue son service militaire à Fontainebleau dans l’artillerie, puis entre à la direction financière de Citroën – il est entre-temps devenu le beau-frère d’André Citroën. Il rejoint ensuite la Société anonyme de gérance et d’armement (SAGA), dont il devient le directeur.
Un frère d’armes nommé Jean Moulin
Puis vient la mobilisation. Officier de liaison auprès de la 51e division écossaise, Bingen est blessé en mission, en juin 1940, à Saint-Valery-en-Caux. Pressé par l’ennemi et déterminé à n’être pas fait prisonnier, il se jette à la mer. Un bateau le recueille et le conduit à Cherbourg, en pleine débâcle. « Il part pour La Rochelle dans un train de blessés et de là, parvient à gagner Casablanca », retrace le Journal de la marine marchande. « C’est alors que commence sa vie de résistant. L’un des premiers, il rallie le mouvement du général de Gaulle et devient rapidement directeur de la marine marchande française libre. En partant de rien, il avait rassemblé, en décembre 1940, 600 000 tonnes de tonnage marchand sous le pavillon de la Croix de Lorraine. Pendant trois ans, il dirigea avec aisance cette flotte considérable. »
Il rejoint le Bureau central de renseignements et d’action (BCRA) en 1942 et travaille avec Jean Moulin. Lorsque ce dernier est arrêté par la Gestapo, en juin 1943, Jacques Bingen est parachuté en France, le 15 août. Il remplace Jean Moulin et, pendant de longs mois, travaille à l’unification des réseaux de résistance, jouant un rôle clé dans l’unification des forces de la Résistance et l’organisation de diverses commissions menant à la création des Forces françaises de l’intérieur (FFI), le 1er février 1944. Cette initiative rassemble l’Armée secrète gaulliste, les FTP communistes et l’ORA giraudiste.
Pour financer la Résistance en pleine expansion, il met en place le Comité Financier (COFI). Il supervise aussi diverses commissions liées au Conseil national de la Résistance, notamment le NAP pour la relève administrative, le Comité d’action contre la déportation (luttant contre le STO) et le Comité des œuvres sociales de la Résistance (COSOR), sous la direction du prêtre Pierre Chaillet, qui aide les familles de résistants arrêtés.
Le 15 mars 1944, Jacques Bingen contribue à l’adoption du programme du Conseil national de la Résistance (CNR), jetant les bases de la réforme du pacte social et de la démocratie en France. Dès décembre 1943, il est délégué national de Londres pour tout l’Hexagone. Traqué par la Gestapo, il intensifie ses efforts, se concentrant sur la zone sud à partir de mars 1944. En dépit des risques croissants, il refuse de retourner à Londres.
Trahi par un agent double belge
Au printemps 1944, la trahison de l’agent double belge Alfred Dormal permet à la Gestapo de l’arrêter, en gare de Clermont-Ferrand, le 13 mai 1944. « Il nie d’abord habilement et, laissé quelques instants avec deux policiers allemands, il les assomme et croit pouvoir s’échapper, mais, hélas ! Pendant la chasse à l’homme, un malencontreux camion allemand passa et, sur le point d’être repris, sachant que les Allemands connaîtraient rapidement l’importance de leur capture, Jacques Bingen avala la pilule mortelle [de cyanure, NDLR] afin d’être sûr de ne pas parler, même dans les tortures », narre le Journal de la marine marchande.
Son corps n’a jamais été retrouvé. Figure emblématique de la Résistance, Jacques Bingen alliait intelligence, élégance discrète et rigueur morale. Il a été fait compagnon de la Libération par le général de Gaulle, en avril 1944. Il sera également fait chevalier de la Légion d’honneur, à titre posthume, par décret du 16 juin 1945.
Cet article a initialement été publié dans le numéro 30 d’Émile, paru en juillet 2024.