Adrien Lemercier : préparer les JOP à la mairie de Paris
Dans son dossier sur la représentation du handicap dans la société française, Émile dresse le portrait de deux alumni. Le premier fréquentait la rue Saint-Guillaume il y a 15 ans, la seconde vient tout juste d’être diplômée. Scolarité, insertion sur le marché du travail et perception de leur handicap : ils reviennent sur les moments clés de leur parcours.
Par Caroline Blackburn et Maïna Marjany (promo 14)
En guise d’introduction, nous demandons à Adrien Lemercier (promo 10) de nous décrire son handicap et ses conséquences sur sa vie d’étudiant, puis professionnelle. Malvoyant de naissance, il ne s’attarde pas sur ce qu’il ne peut pas faire. Au contraire, il nous explique qu’il voit « les couleurs, les lumières, les masses importantes : ce n’est pas beaucoup, mais ce n’est pas négligeable, car ça facilite les déplacements. Comme tout le monde, j’ai appris à lire au CP, sauf que j’ai appris le braille », poursuit-il. À partir du CM1, il mène sa scolarité dans des écoles classiques, avec une personne formée pour l’accompagner dans certains cours.
Après une année de prépa, Adrien entre rue Saint-Guillaume, au moment où se mettent en place les tout premiers aménagements du programme Sciences Po Accessible. Il salue notamment l’arrivée de la salle dédiée, au sous-sol de la bibliothèque, avec du matériel adapté tel que des écrans braille. Il peut également bénéficier de l’accompagnement d’étudiants volontaires qui aident à trouver les livres dans les rayonnages, à sélectionner des chapitres, puis les lisent. « D’après les échos que j’ai pu avoir de la part d’étudiants dans d’autres écoles et universités, c’était assez novateur pour l’époque », précise-t-il. Il se souvient également des réticences au moment du remplacement des portes historiques du 27, rue Saint-Guillaume par des équipements automatiques : « Certains déploraient qu’on touche au patrimoine de Sciences Po. » Une anecdote assez symbolique de cet établissement qui ne cesse, ces dernières années, d’être tiraillé entre attachement à l’histoire et volonté d’être en avance sur son temps.
Diplômé en 2010, Adrien enchaîne avec la prépa concours, il postule auprès de collectivités locales et est admis à la mairie de Paris, où le processus de recrutement n’est pas aussi simple qu’on pourrait le penser. « La Ville de Paris était déjà engagée sur les questions d’accessibilité, mais ils ne recrutaient que très peu de personnes en situation de handicap par an. Après une épreuve écrite et une épreuve orale, il fallait aller postuler dans différentes directions et la sensibilisation des chefs de bureau n’était pas ce qu’elle est aujourd’hui ; il y a eu des comportements inacceptables et des refus que je n’ai pas compris. »
Le jeune homme obtient finalement le poste de chargé des relations avec les organisations internationales à la Ville de Paris. « L’intégration s’est très bien passée : des efforts ont été faits sur l’accessibilité, mais aussi sur la sensibilisation de l’équipe. Par exemple, quand je suis arrivé, il y a eu une journée dédiée à cela pour mes collègues. » Il dispose d’un ordinateur classique, rattaché à un lecteur d’écran à synthèse vocale, qui permet de lire rapidement les mails ou encore de rédiger des documents, ainsi qu’à un bloc-notes en braille qui lui permet de lire des documents plus complexes et de vérifier les fautes d’orthographe. En 2018, il est détaché à l’Agence française de développement (AFD), puis retourne à la Ville de Paris en 2020 où, en tant que référent sport, il travaille notamment à la préparation des Jeux olympiques et paralympiques 2024. Il en espère beaucoup, mais ne veut pas vendre la peau de l’ours trop vite : « Nous verrons quel sera l’héritage de ces Jeux et si nos objectifs seront atteints ! ».
En parallèle de son parcours professionnel, il s’investit au sein des associations Accompagner, promouvoir et intégrer les déficients visuels (apiDV) et 100 % Handinamique, dont il devient le président, de 2014 à 2017. Ces structures, qui œuvrent pour une société plus inclusive, lui permettent de rencontrer d’autres jeunes diplômés, de développer un réseau d’entraide où échanger à la fois autour des difficultés et des bonnes pratiques.
Quand on lui parle de représentation et d’identification, il répond ne pas avoir eu de figure de référence, « mais s’inspirer du parcours de ses pairs. Les choses s’accélèrent depuis quelques années : les associations comme 100 % Handinamique font un gros travail de plaidoyer auprès du grand public, de la société civile, des politiques… Le regard des médias – compassion et pitié quand on parlait de handicap, difficultés à travailler, besoin d’aide de l’État, etc. – a notamment évolué, mais il reste encore beaucoup à faire. » Concernant l’évolution du regard sur le handicap, « l’histoire s’écrit devant nos yeux », nous glisse Adrien.
Cet article a initialement été publié dans le numéro 30 d’Émile, paru en juillet 2024.