Décryptage - Victoire démocrate en Alabama : quelles conséquences pour Donald Trump ?

Décryptage - Victoire démocrate en Alabama : quelles conséquences pour Donald Trump ?

Le démocrate Doug Jones a remporté, le 12 décembre, les élections sénatoriales en Alabama, état conservateur du sud des Etats-Unis. Les Républicains subissent leur première défaite depuis plus de 25 ans dans cet état. Quels sont les facteurs qui ont entrainé cette victoire surprise du candidat démocrate ? Cela s'est-il déjà produit dans un autre état depuis l'élection de Donald Trump ? Quelles sont les conséquences d'une telle élection pour le président américain, alors que les élections de mi-mandat ("midterms") approchent à grands pas ? Pour le savoir, Émile est allé à la rencontre d'Amy Greene (promo 09), chercheuse au CERI sur la politique américaine et responsable pédagogique à Sciences Po en charge des affaires internationales. 

Propos recueillis par Maïna Marjany et Alexandra Slon

Quelle est votre analyse des résultats des élections en Alabama ? Est-ce que c’est une surprise ? 

D’une certaine manière, ces résultats ont été une surprise parce que c’est la première fois, depuis plus de 25 ans, qu’un démocrate venant d’Alabama est élu au Sénat. D’ailleurs, jusqu’à la veille des élections, les sondages étaient partagés sur les résultats ; certains d’entre eux montraient que Doug Jones - le candidat démocrate - allait être élu, tandis que d’autres disaient que cet état était trop fermement acquis aux Républicains, et que ce serait donc Roy Moore. 

Quels sont les facteurs qui ont permis l’élection du candidat démocrate ? 

Ce qui a été étonnant avec cette élection - et c’est aussi ce qui a permis la victoire de Doug Jones -, c’est la forte participation des minorités, notamment des femmes. Ces tendances montrent que, quelque part, cette victoire a été portée par les femmes noires, une population extrêmement désavantagée au sein de la société américaine, qui est disproportionnellement discriminée, mais qui, comme ça avait été le cas pour Hillary Clinton en 2016, s’est mobilisée en masse pour soutenir un candidat démocrate, contre un candidat soutenu par Donald Trump. Par ce vote, elles ont pris une position très « morale », celle de s’opposer aux agressions sur mineures dont est accusé Roy Moore, de dire « stop, on ne peut pas supporter ça, on ne peut pas laisser une telle personne accéder au pouvoir ».  Elles ont donc très largement voté pour lui, contrairement aux femmes blanches, qui se sont majoritairement prononcées en faveur du candidat républicain. 

Par ailleurs, un autre facteur intéressant est la capacité qu’a eu le parti démocrate à capitaliser sur les manquements moraux du candidat Républicain, afin de réaliser ce qu’ils appellent un « voter turnout » ou une mobilisation des électeurs en masse. Ils ont vraiment su mettre en place une campagne sur le terrain qui a incité des démocrates à venir voter le jour J, c’est ce qui a vraiment joué, notamment pour le vote des minorités, qui comme je le disais, ont fait basculer l’élection dans cet état très conservateur. 

Quel a été l’impact des affaires qui ont touchées Roy Moore sur le vote des électeurs républicains ? 

Certains d’entre eux ont voté pour Moore parce qu’ils estiment que son comportement envers les jeunes femmes n’est pas rédhibitoire. Il y a d’ailleurs des sondages très intéressants qui montrent qu’aujourd’hui les évangélistes considèrent que les pratiques dans la vie privée ne sont pas rédhibitoires à l’exercice du pouvoir, ce qui n’était pas le cas dans le passé, où ils voyaient le lien entre vie privée et vie publique comme quelque chose de déterminant. Dans cette campagne, ces personnes auraient peut-être perçu la course comme une manière de s’affirmer contre le système politique, truqué à leur sens, et de faire une leçon aux dirigeants politiques en votant pour un candidat qui se voyait en position de combattant, le David face au Goliath incarné par Washington.

Il y a aussi ceux qui votent pour le candidat Républicain, car ils pensent qu’un Républicain quel que soit son nom, ou son comportement, doit être élu. Enfin, il y a une partie de la droite qui a décidé qu’ils pouvaient supporter plein de choses, mais pas un homme qui est accusé par plusieurs femmes d'agression lorsqu’elles étaient adolescentes. Ils ont soit décidé de s’abstenir, soit de voter démocrate, au moins pour cette élection. 

Cette affaire est-elle le seul facteur à avoir conditionné les électeurs dans leur choix ou d’autres éléments, telle que la politique actuellement menée par Donald Trump, y ont-ils contribué ? 

Dans ce cas précis, il y a une remise en question de la personne de Roy Moore, et les accusations contre lui ont largement pesé dans la balance. Il y a donc un lien direct entre son échec et cette affaire. En revanche, il y a des conséquences pour Donald Trump, tout simplement parce qu’il avait finalement donné son soutien officiel à ce candidat, et que le parti Républicain national a donc soutenu Roy Moore, notamment financièrement. Par ailleurs, Moore s’est présenté dans la lignée de l’idéologie qui a largement porté Trump à la victoire – anti-musulmane, apologiste pour l’esclavage, etc.

La ligne plus ou moins officielle pour la classe dirigeante de la droite a été de vouloir « laisser les électeurs de l’Alabama décider », ce que de nombreuses personnes ont vu comme un consentement tacite du passé de Roy Moore. De toute manière, en s’alignant avec la position du président, ou en décidant de ne pas prendre position, le parti Républicain a été largement perçu comme défaillant en termes moraux. Et ils ont perdu. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que des candidats qui se positionnent en lien avec la vision trumpienne de la politique perdent. On a déjà eu le cas en novembre dernier dans les élections locales en Virginie : un élu auteur des lois contre les personnes transsexuelles a été battu par une personne transsexuelle. Ou encore en Floride où une femme, réfugiée vietnamienne naturalisée américaine, a gagné. Une première dans l’histoire des Etats-Unis. Les démocrates ont récupéré également des sièges dans des endroits plus conservateurs, en Géorgie, par exemple.

De gauche à droite : John Mica, Stephanie Murphy (Floride), Danica Roem, Robert "Bob" Marshall (Virginie) 

De gauche à droite : John Mica, Stephanie Murphy (Floride), Danica Roem, Robert "Bob" Marshall (Virginie) 

Au lieu d’attirer des soutiens avec le temps, le président en perd. N’oubliez pas non plus qu’il a gagné l’élection par le Collège électoral certes, mais a perdu le vote populaire par 3 millions de voix ! Nous commençons à voir que les électeurs américains répudient de plus en plus le message de Trump. Ce qui a des conséquences pour le Président et devrait donner beaucoup d’espoir au parti démocrate pour les élections de mi-mandat en 2018. 

Pourquoi de l’espoir ? 

Parce que ces élections montrent qu’ils peuvent être compétitifs partout, qu’ils ne devraient rien laisser passer, adopter une stratégie à « 50 Etats », même dans ceux qui sont historiquement liés aux Républicains, et qui, jusque-là, étaient un peu mis de côté : peu de fonds étaient investis, les candidats choisis n’étaient pas forcément prioritaires. Là, la stratégie sera celle d’un déploiement sur l’ensemble du territoire. Par ailleurs, l’élection en Alabama démontre une chose importante : les Démocrates ont su mobiliser des personnes qui votent typiquement pour eux lors des élections présidentielles, mais qui ne se déplacent pas en dehors de cette échéance.

Tout cela est plutôt inquiétant sur le long-terme pour le parti Républicain qui est dans une bataille interne entre son Establishment et la droite extrême pour définir sa vision pour l’avenir, et prône un message de conservatisme et de repli sur soi qui ne parle pas aux nouvelles démographies puissantes – notamment les jeunes, les femmes, et les minorités. À ce stade, la droite se contente de miser sur une stratégie axée largement autour des valeurs très conservatrices et le retour d’une « époque glorieuse » désormais révolue. Ils attisent la peur qu'ont certains d’une Amérique multiculturelle. Cette stratégie pourrait gagner peut-être encore quelques années, mais pas pour très longtemps et pas partout.

Vous parliez des "midterms", qu’est-ce que cela signifierait pour Trump de perdre une des chambres ? 

Si les Républicains venaient à perdre leur majorité au Sénat, cela deviendrait encore plus compliqué pour Donald Trump de gouverner, alors même qu’il a déjà du mal à mettre en place son agenda. Inversement, les Démocrates auraient une marge plus importante pour être une véritable force d’opposition, alors qu’à l’heure actuelle ils doivent souvent se contenter de subir les coups de la droite sans autre recours que d’exprimer leur désaccord publiquement. Et puis, il y a des échos au Sénat qui commencent à appeler à l’impeachment, à la destitution du Président. La sénatrice de New York, Kirsten Gillibrand, appelle notamment de manière très véhémente à ce que les femmes qui ont accusé le Président d’agression sexuelle, voire de viol, soient entendues et qu’une investigation soit ouverte. Donc, si les Démocrates deviennent majoritaires dans au moins une des chambres, il y aura une pression nette sur le président des Etats-Unis, avec des conséquences potentiellement très importantes. 


Biographie : 

Amy Greene

Amy Greene

1999 - 2002 : Licence en relations internationales de l'American University

2006 - 2008 : Master en Administration publique de l'Université de Pennsylvanie 

2007 - 2009 : Master de Sécurité internationale à Sciences Po Paris 

2008 - 2016 : Editrice du site "Potusphere" 

2010 - 2013 : Chargée de mission Etats-Unis à Sciences Po

2013 - 2017 : Responsable pédagogique en charge des affaires internationales et de la troisième année au Collège universitaire

2014 : Doctorat en Relations internationales à Sciences Po

2017 - ... : Responsable pédagogique en charge des affaires internationales et de la troisième année au Collège universitaire

 

"Emmanuel Macron, c'est comme une boule de Noël qui tourne au plafond"

"Emmanuel Macron, c'est comme une boule de Noël qui tourne au plafond"

Analyse - Patrick Moreau : "Pour les Autrichiens, l'extrême-droite est devenue un parti normal"

Analyse - Patrick Moreau : "Pour les Autrichiens, l'extrême-droite est devenue un parti normal"